Page:Verne - Famille-sans-nom, Hetzel, 1889.djvu/397

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vent la trahison jusque dans la femme, jusque dans les enfants, dont l’un leur a déjà donné son sang, dont l’autre ne demande qu’à le verser pour eux ! Non !… Jamais ! C’est nous qui ne resterons pas avec ces patriotes, qui se disent souillés par notre contact ! Viens, ma mère, viens !

— Mon fils, dit Bridget, il faut souffrir !… C’est notre part ici-bas !… C’est l’expiation !… »

— Jean ! » murmura Clary.

Quelques cris retentissaient encore. Puis, ils se turent. Les rangs s’étaient ouverts devant Bridget et son fils. Tous deux se dirigeaient vers la berge.

Bridget n’avait même plus la force de faire un pas. Cette horrible scène l’avait anéantie. Clary, aidée de Lionel, la soutenait, mais ne pouvait la consoler.

Tandis que Vincent Hodge, Clerc et Farran étaient restés au milieu de la foule pour la calmer, M. de Vaudreuil avait suivi sa fille. Comme elle, il sentait son cœur se révolter contre ce flot d’injustice, contre l’abomination de ces préjugés qui poussent au delà de toutes limites les responsabilités humaines. Pour lui comme pour elle, le passé du père s’effaçait devant le passé de ses fils. Et, lorsque Bridget et Jean furent arrivés près de l’une des embarcations qui faisaient le service de Schlosser, il dit :

« Votre main, madame Bridget !… Votre main, Jean !… Ne vous souvenez plus de ce que ces malheureux vous ont jeté d’outrages !… Ils reconnaîtront que vous êtes au-dessus de ces opprobres !… Ils vous demanderont un jour de leur pardonner…

— Jamais ! s’écria Jean, en se dirigeant vers l’embarcation, prête à quitter la rive.

— Où allez-vous ? lui demanda Clary.

— Là où nous ne risquerons plus d’être en butte aux insultes des hommes !

— Madame Bridget, dit alors la jeune fille d’une voix qui fut entendue de tous, je vous respecte comme une mère ! Il y a quelques