Page:Verne - Famille-sans-nom, Hetzel, 1889.djvu/405

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tion. Pour y échapper, il est vrai, il leur eût suffi de regagner Schlosser, pendant que le passage du Niagara était libre. Mais pas un n’aurait voulu battre en retraite, sans s’être défendu jusqu’à la dernière heure.

Peut-être, après tout, se croyaient-ils assez forts pour opposer une sérieuse résistance, et se faisaient-ils illusion sur les difficultés d’un débarquement.

En tout cas, l’un d’eux ne s’y méprenait guère. C’était maître Nick, si malencontreusement engagé dans cette lutte. Mais sa situation à la tête des guerriers mahoganniens ne lui permettait pas d’en rien dire. Quant à Lionel, son patriotisme n’admettait aucune hésitation.

Le jeune clerc, d’ailleurs, ne revenait pas des surprises que lui avait causées la réapparition si inattendue de son héros. Quoi ! Jean-Sans-Nom était fils d’un Simon Morgaz !… L’abbé Joann était fils d’un traître !

« Eh bien ! se répétait-il, en sont-ils moins deux bons patriotes ? Et Mlle Clary n’a-t-elle pas eu raison de défendre Jean et sa mère ?… Ah ! la brave jeune fille !… C’est bien, cela !… C’est noble !… C’est digne d’une Vaudreuil ! »

Ainsi raisonnait Lionel, qui ne marchandait pas son enthousiasme, et ne pouvait croire que Jean eût quitté l’île Navy pour n’y plus remettre les pieds. Oui ! Jean-Sans-Nom reparaîtrait, ne fût-ce que pour mourir en défendant la cause nationale !

Et bientôt, le jeune clerc en arrivait à faire cette réflexion fort judicieuse, en somme :

« Pourquoi les enfants de Simon Morgaz ne seraient-ils pas les plus loyaux des hommes, puisque le dernier descendant d’une race belliqueuse n’avait plus rien des qualités de ses ancêtres, puisque la race des Sagamores finissait en notaire ! »

Ce que Lionel pensait de Jean-Sans-Nom, c’est aussi ce que pensaient Thomas Harcher et ses fils. Ne l’avaient-ils pas vu à l’œuvre depuis nombre d’années. En risquant cent fois sa vie, Jean n’avait-il