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HIER ET DEMAIN.

fond de leur pupille, des dents blanches et aiguës, un nez effilé, une bouche serrée, un menton de galoche. Et quelles mains ! Des doigts longs, longs… de ces doigts qui sur un clavier peuvent prendre une octave et demie !

L’autre est trapu, tout en épaules, tout en buste, une grosse tête ébouriffée sous un feutre grisâtre, une face de taureau têtu, un ventre en clef de fa. C’est un gars d’une trentaine d’années, fort à pouvoir rosser les plus vigoureux de la commune.

Personne ne connaissait ces individus. C’était la première fois qu’ils venaient dans le pays. Pas des Suisses, à coup sûr, mais plutôt des gens de l’Est, par delà les montagnes, du côté de la Hongrie. Et, de fait, cela était, ainsi que nous l’apprîmes plus tard.

Après avoir payé une semaine d’avance à l’auberge Clère, ils avaient déjeuné de grand appétit, sans épargner les bonnes choses. Et maintenant, ils faisaient un tour, l’un précédant l’autre, le grand ballant, regardant, baguenaudant, chantonnant, les doigts sans cesse en mouvement, et, par un geste singulier, se frappant parfois le bas de la nuque avec la main, et répétant :

« La naturel… la naturel !… Bien ! »

Le gros roulait sur ses hanches, fumant une pipe en forme de saxophone, d’où s’échappaient des torrents de fumée blanchâtre.