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KÉRABAN-LE-TÊTU.

la main si les guides étaient à sa portée ; mais les chevaux, en se débattant, les avaient rompues, sans doute, et il fallait maintenant s’abandonner au hasard de cette course folle à travers une contrée marécageuse. Pour arrêter l’attelage, il n’y aurait eu qu’un moyen : arrêter, en même temps, la bande enragée qui le poursuivait. Or, les armes à feu, dont les coups se perdaient sur cette masse en mouvement, n’y auraient pu suffire.

Les voyageurs, projetés les uns sur les autres, ou lancés d’un coin à l’autre du coupé à chaque cahot de la route, — celui-ci résigné à son sort comme tout bon musulman, ceux-là, flegmatiques comme des Hollandais, — n’échangèrent plus une parole.

Une grande heure s’écoula ainsi. La chaise roulait toujours. Les sangliers ne l’abandonnaient pas.

« Ami Van Mitten, dit enfin Kéraban, je me suis laissé raconter qu’en pareille occurrence, un voyageur, poursuivi par une bande de loups à travers les steppes de la Russie, avait été sauvé, grâce au sublime dévouement de son domestique.

— Et comment ? demanda Van Mitten.

— Oh ! rien de plus simple, reprit Kéraban. Le domestique embrassa son maître, recommanda