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l’île à hélice.

très respectée que le tabou, — Sébastien Zorn en savait quelque chose, — et on la respecta.

Lorsque les excursionnistes longent Naitasiri, le pilote les invite à regarder un arbre de haute taille, un tavala, qui se dresse dans un angle de la rive.

« Et qu’a-t-il de remarquable, cet arbre ?… demande Frascolin.

— Rien, répondit le pilote, si ce n’est que son écorce est rayée d’incisions depuis ses racines jusqu’à sa fourche. Or, ces incisions indiquent le nombre de corps humains qui furent cuits en cet endroit, mangés ensuite…

— Comme qui dirait les encoches du boulanger sur ses bâtonnets ! » observe Pinchinat, dont les épaules se haussent en signe d’incrédulité.

Il a tort pourtant. Les îles Fidji ont été par excellence le pays du cannibalisme, et, il faut y insister, ces pratiques ne sont pas entièrement éteintes. La gourmandise les conservera longtemps chez les tribus de l’intérieur. Oui ! la gourmandise, puisque, au dire des Fidgiens, rien n’est comparable, pour le goût et la délicatesse, à la chair humaine, très supérieure à celle du bœuf. À en croire le pilote, il y eut un certain chef, Ra-Undrenudu, qui faisait dresser des pierres sur son domaine, et, quand il mourut, leur nombre s’élevait à huit cent vingt-deux.

« Et savez-vous ce qu’indiquaient ces pierres ?…

— Il nous est impossible de le deviner, répond Yvernès, même en y appliquant toute notre intelligence d’instrumentistes !

— Elles indiquaient le nombre de corps humains que ce chef avait dévorés !

— À lui tout seul ?…

— À lui tout seul !

— C’était un gros mangeur ! » se contente de répondre Pinchinat dont l’opinion est faite au sujet de ces « blagues fidgiennes ».

Vers onze heures, une cloche retentit sur la rive droite. Le village de Naililii, composé de quelques paillottes, apparaît entre les fron-