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l’île à hélice.

services domestiques et de voirie, et retombe en pluie bienfaisante sur les champs et les pelouses, qui ne sont plus soumis aux caprices du ciel. Et non seulement cette eau est douce, mais elle est distillée, électrolysée, plus hygiénique que les plus pures sources des deux continents, dont une goutte de la grosseur d’une tête d’épingle peut renfermer quinze milliards de microbes.

Il reste à dire dans quelles conditions s’effectue le déplacement de ce merveilleux appareil. Une grande vitesse ne lui est pas nécessaire, puisque, en six mois, il ne doit pas quitter les parages compris entre les tropiques, d’une part, et entre les cent trentième et cent quatre-vingtième méridiens, de l’autre. Quinze à vingt milles par vingt-quatre heures, Standard-Island n’en demande pas davantage. Or, ce déplacement, il eût été aisé de l’obtenir au moyen d’un touage, en établissant un câble fait de cette plante indienne qu’on nomme bastin, à la fois résistant et léger, qui eût flotté entre deux eaux de manière à ne point se couper aux fonds sous-marins. Ce câble se serait enroulé, aux deux extrémités de l’île, sur des cylindres mus par la vapeur, et Standard-Island se fût touée à l’aller et au retour, comme ces bateaux qui remontent ou descendent certains fleuves. Mais ce câble aurait dû être d’une grosseur énorme pour une pareille masse, et il eût été sujet à nombre d’avaries. C’était la liberté enchaînée, c’était l’obligation de suivre l’imperturbable ligne du touage, et, quand il s’agit de liberté, les citoyens de la libre Amérique sont d’une superbe intransigeance.

À cette époque, très heureusement, les électriciens ont poussé si loin leurs progrès, que l’on a pu tout demander à l’électricité, cette âme de l’Univers. C’est donc à elle qu’est confiée la locomotion de l’île. Deux usines suffisent à faire mouvoir des dynamos d’une puissance pour ainsi dire infinie, fournissant l’énergie électrique à courant continu sous un voltage modéré de deux mille volts. Ces dynamos actionnent un puissant système d’hélices placées à proximité des deux ports. Elles développent chacune cinq millions de chevaux-vapeur, grâce à leurs centaines de chaudières chauffées