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Page:Verne - L'Agence Thompson and C°, Hetzel, 1907.djvu/488

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L’AGENCE THOMPSON AND Co.

Le cheik haussa les épaules et continua sa tournée, sans daigner répondre au gracieux salut de l’incompréhensible Hollandais.

La répétition des mêmes questions ne le lassait pas. À tous, il les posait, écoutant attentivement les réponses. Nul n’échappa à sa patiente enquête.

Cependant, fut-ce par une inexplicable distraction, fut-ce de propos délibéré, il en est un qu’il négligea d’interroger, et celui-là c’était Jack Lindsay.

Alice, en suivant des yeux la file des naufragés, avait eu la surprise d’apercevoir son beau-frère confondu avec les autres. Dès lors, elle ne l’avait plus quitté des yeux, et elle remarqua avec inquiétude qu’il n’était pas soumis à la règle commune.

L’absence certaine de Jack Lindsay, son retour, l’indifférence du cheik maure, cet ensemble de faits jeta dans l’âme d’Alice un trouble que toute son énergie eut peine à dompter.

L’interrogatoire terminé, le cheik se retirait parmi les siens, quand le capitaine Pip lui barra audacieusement le passage.

« Veux-tu me dire maintenant ce que tu comptes faire de nous ? lui demanda-t-il de nouveau avec un flegme que rien n’était capable d’entamer.

Le cheik fronça le sourcil, puis, à la réflexion, secoua la tête avec nonchalance.

— Oui, dit-il. À ceux qui pourront payer rançon, la liberté sera rendue.

— Et les autres ?

— Les autres !… répéta le Maure.

D’un geste large il montra l’horizon.

— La terre d’Afrique a besoin d’esclaves, dit-il. Les jeunes ont la force et les vieux la sagesse. »

Parmi les naufragés, ce fut une explosion de désespoir. Ainsi donc, la mort ou la ruine, voilà ce qui les attendait.

Au milieu de l’abattement général, Alice gardait intact un courage qu’elle puisait dans sa confiance absolue en Robert. Il