Page:Verne - L’École des Robinsons - Le Rayon vert.djvu/107

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
95
un heureux coup de foudre

dormit-il que d’un sommeil agité. Son cerveau travaillait comme il ne l’avait jamais fait. C’est qu’il s’y associait des idées de toutes sortes : celles du passé qu’il regrettait amèrement, celles du présent dont il cherchait la réalisation, celles de l’avenir qui l’inquiétaient plus encore !

Mais, devant ces rudes épreuves, la raison et, par suite, le raisonnement qui tout naturellement en découle, se dégageaient peu à peu des limbes où ils avaient en lui sommeillé jusqu’alors. Godfrey était résolu à lutter contre la mauvaise fortune, à tout tenter dans la mesure du possible pour se tirer d’affaire. S’il en réchappait, cette leçon ne serait certainement pas perdue à l’avenir.

Dès l’aube, il fut debout avec l’intention de procéder à une installation plus complète. La question des vivres, surtout celle du feu qui lui était connexe, primait toutes les autres, outils ou armes quelconques à fabriquer, vêtements de rechange qu’il faudrait se procurer, sous peine de n’être bientôt vêtus qu’à la mode polynésienne.

Tartelett dormait encore. On ne le voyait pas dans l’ombre, mais on l’entendait. Ce pauvre homme, épargné dans le naufrage, resté aussi frivole à quarante-cinq ans, que son élève l’avait été jusqu’alors, ne pouvait lui être d’une grande ressource. Il serait même un surcroît de charge, puisqu’il faudrait pourvoir à ses besoins de toutes sortes ; mais enfin c’était un compagnon ! Il valait mieux, en somme, que le plus intelligent des chiens, bien qu’il dût, sans doute, être moins utile ! C’était une créature pouvant parler, quoique à tort et à travers ; causer, bien que ce fût jamais que de choses peu sérieuses ; se plaindre, ce qui lui arriverait le plus souvent ! Quoi qu’il en soit, Godfrey entendrait une voix humaine résonner à son oreille. Cela vaudrait toujours mieux que le perroquet de Robinson Crusoë ! Même avec un Tartelett, il ne serait pas seul, et rien ne l’eût autant abattu que la perspective d’une complète solitude.

« Robinson avant Vendredi, Robinson après Vendredi, quelle différence ! » pensait-il.

Cependant ce matin-là, 29 juin, Godfrey ne fut pas fâché d’être seul, afin de mettre à exécution son projet d’explorer les environs du groupe des séquoias. Peut-être serait-il assez heureux pour découvrir quelque fruit, quelque racine comestible, qu’il rapporterait à l’extrême satisfaction du professeur. Il laissa donc Tartelett à ses rêves et partit.

Une légère brume enveloppait encore le littoral et la mer ; mais déjà ce