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occasion d’acheter une île

ne se laisserait entraîner au feu des enchères. Cependant ce n’était pas la faute au crieur public, qui tentait d’allumer les chalands par ses exclamations, ses gestes et le débit de ses boniments enguirlandés des plus séduisantes métaphores.

On riait, mais on ne poussait pas.

« Une île ! une île à vendre ! répéta Gingrass.

— Mais pas à acheter, répondit un Irlandais, dont la poche n’eût pas fourni de quoi en payer un seul galet.

— Une île qui, sur la mise à prix, ne reviendrait pas à six dollars l’acre ! cria le commissaire Dean Felporg.

— Et qui ne rapporterait pas un demi-quart pour cent ! riposta un gros fermier, très connaisseur en fait d’exploitations agricoles.

— Une île qui ne mesure pas moins de soixante-quatre milles[1] de tour et deux cent vingt-cinq mille acres[2] de surface !

— Est-elle au moins solide sur son fond ? demanda un Mexicain, vieil habitué des bars, et dont la solidité personnelle semblait être fort contestable en ce moment.

— Une île avec forêts encore vierges, répéta le crieur, avec prairies, collines, cours d’eau…

— Garantis ? s’écria un Français, qui paraissait peu disposé à se laisser prendre à l’amorce.

— Oui ! garantis ! répondait le commissaire Felporg, trop vieux dans le métier pour s’émouvoir des plaisanteries du public.

— Deux ans ?

— Jusqu’à la fin du monde.

— Et même au delà !

— Une île en toute propriété ! reprit le crieur. Une île sans un seul animal malfaisant, ni fauves, ni reptiles !…

— Ni oiseaux ? ajouta un loustic.

— Ni insectes ? s’écria un autre.

— Une île au plus offrant ! reprit de plus belle Dean Felporg. Allons, citoyens ! Un peu de courage à la poche ! Qui veut d’une île en bon état, n’ayant presque pas servi, une île du Pacifique, de cet océan des océans ? Sa mise à

  1. Cent vingt kilomètres.
  2. Quatre-vingt-dix mille hectares.