Page:Verne - L’École des Robinsons - Le Rayon vert.djvu/155

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
143
où le fusil de tartelett fait merveille.

qu’après avoir traversé l’espace dénudé, il reprit la rive gauche sous le couvert des arbres.

Une heure de marche le conduisit alors à l’endroit où les rives n’étaient plus bordées que d’arbustes rabougris, où l’herbe, moins épaisse, commençait à se ressentir du voisinage de la mer.

Dans ces conditions, il était difficile de se cacher, à moins de ne plus s’avancer qu’en rampant sur le sol.

C’est ce que fit Godfrey, c’est aussi ce qu’il recommanda à Tartelett de faire.

« Il n’y a plus de sauvages ! Il n’y a plus d’anthropophages ! Ils sont partis ! dit le professeur.

— Il y en a ! répondit vivement Godfrey à voix basse. Ils doivent être là !… À plat ventre, Tartelett, à plat ventre ! Soyez prêt à faire feu, mais ne tirez pas sans mon ordre ! »

Godfrey avait prononcé ces paroles avec un tel accent d’autorité, que le professeur, sentant ses jambes se dérober sous lui, n’eut aucun effort à faire pour se trouver dans la position demandée.

Et il fit bien !

En effet, ce n’était pas sans raison que Godfrey venait de parler comme il l’avait fait.

De la place que tous les deux occupaient alors, on ne pouvait voir ni le littoral, ni l’endroit où le rio se jetait dans la mer. Cela tenait à ce qu’un coude des berges arrêtait brusquement le regard à une distance de cent pas ; mais, au-dessus de ce court horizon, fermé par les tumescences des rives, une épaisse fumée s’élevait droit dans l’air.

Godfrey, allongé sous l’herbe, le doigt sur la gâchette de son fusil, observait le littoral.

« Cette fumée, se dit-il, ne serait-elle pas de la nature de celles que j’ai déjà entrevues par deux fois ? Faut-il en conclure que des naturels ont déjà débarqué au nord et au sud de l’île, que ces fumées provenaient de feux allumés par eux ? Mais non ! ce n’est pas possible, puisque je n’ai jamais trouvé ni cendres, ni traces de foyer, ni charbons éteints ! Ah ! cette fois, je saurai bien à quoi m’en tenir ! »

Et, par un habile mouvement de reptation que Tartelett imita de son mieux, il parvint, sans dépasser les herbes de la tête, à se porter jusqu’au coude du rio.