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Mais un incident très imprévu allait quelque peu retarder la marche du steamer.

Miss Campbell, possédée par son idée fixe, immobile à la même place, ne perdait pas de vue la ligne circulaire, qui se tendait entre les deux îles. À l’affleurement du ciel, la réverbération dessinait un triangle d’argent, dont les dernières nuances venaient mourir au flanc du Glengarry.

Sans doute miss Campbell était la seule à bord dont les regards fussent obstinément fixés sur cette partie de l’horizon ; aussi fut-elle la seule qui remarqua combien la mer semblait être agitée entre la pointe et l’île Scarba. En même temps, un bruit lointain de lames entre-choquées arrivait jusqu’à elle. Cependant, c’était à peine si la brise soulevait quelques rides sur les eaux presque visqueuses, tant elles étaient calmes, que coupait l’étrave du steamer.

« D’où viennent donc ce trouble et ce bruit ? » demanda miss Campbell, en s’adressant à ses oncles.

Les frères Melvill eussent été fort empêchés de lui répondre, car ils ne comprenaient pas plus qu’elle ce qui se passait de là, à trois milles, dans l’étroite passe.

Miss Campbell, s’adressant alors au capitaine du Glengarry, qui se promenait sur la passerelle, lui demanda quelle était la cause de ce fracas des eaux et de leur agitation.

« Un simple phénomène de marée, répondit le capitaine. Ce que vous entendez, c’est le bruit du gouffre de Corryvrekan.

— Mais le temps est magnifique, fit observer miss Campbell, et c’est à peine si la brise se fait sentir !

— Aussi ce phénomène ne dépend-il point du temps, répondit le capitaine. C’est un effet de la mer montante, qui, au sortir du Jura-Sund, ne trouve d’issue qu’entre les deux îles de Jura et de Scarba. De là vient que le flot s’y précipite avec une violence extrême, et il serait fort dangereux à une embarcation de petit tonnage de s’y aventurer. »

Le gouffre de Corryvrekan, justement redouté dans ces parages, est cité comme l’un des plus curieux endroits de l’archipel des Hébrides. Peut-être pourrait-on le comparer au raz de Sein, formé par le rétrécissement de la mer entre la chaussée de ce nom et la baie des Trépassés, sur la côte de Bretagne, et au raz Blanchart, à travers lequel se déversent les eaux de la Manche, entre Aurigny et la terre de Cherbourg. La légende affirme qu’il doit son