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JUSTICE VÉNITIENNE.

Ainsi, c’était bien vrai ! Il venait d’échapper à la mort, mais au prix d’une humiliation des plus sanglantes ! Lui, ingénieur des mines, lui, élève de l’École Polytechnique, chimiste distingué, géologue déjà célèbre, il s’était laissé prendre à la ruse grossière d’un misérable Cafre ! Ou plutôt, c’était à sa propre vanité, à sa ridicule présomption, qu’il était redevable de cette bévue sans nom ! Il avait poussé l’aveuglement jusqu’à trouver une théorie pour sa formation cristalline !… On n’était pas plus ridicule !… Est-ce que ce n’est pas à la nature seule qu’il appartient, avec le concours des siècles, de mener à bien des œuvres semblables ?… Et pourtant, qui ne se serait trompé à cette apparence ? Il espérait le succès, avait tout préparé pour l’atteindre et devait logiquement croire qu’il l’avait obtenu !… Les dimensions anormales du diamant elles-mêmes étaient faites pour entretenir cette illusion !… Un Despretz l’eût partagée !… Des méprises semblables n’arrivent-elles pas tous les jours ?… Ne voit-on pas les numismates les plus expérimentés accepter pour vraies de fausses médailles ?

Cyprien essayait de se réconforter de la sorte. Mais, tout à coup, une pensée le glaça :

« Et mon mémoire à l’Académie !… Pourvu que ces gredins ne s’en soient pas emparés ! »

Il alluma une bougie. Non ! Grâce au ciel, son mémoire était encore là ! Personne ne l’avait vu !… Il ne respira qu’après l’avoir brûlé.

Cependant, le chagrin de Matakit était si déchirant qu’il fallut bien se décider à l’apaiser. Ce ne fut pas difficile. Aux premiers mots bienveillants du petit père, le pauvre garçon sembla renaître à la vie. Mais, si Cyprien dut l’assurer qu’il ne lui gardait pas rancune et qu’il lui pardonnait de bon cœur, ce fut à la condition qu’il ne s’aviserait plus de recommencer.

Matakit le promit au nom de ce qu’il avait de plus sacré, et, son maître étant allé se recoucher, il en fit autant.

Ainsi finit cette scène qui avait failli tourner au tragique !

Mais, si elle se termina de la sorte pour le jeune ingénieur, il ne devait pas en être de même pour Matakit.

En effet, le lendemain, quand on sut que l’Étoile du Sud n’était rien moins qu’un diamant naturel, que ce diamant avait été trouvé par le jeune Cafre, qui en connaissait parfaitement la valeur, tous les soupçons à son endroit reparurent avec plus de force. John Watkins jeta les hauts cris. Ce Matakit ne pouvait qu’être le voleur de cette inestimable pierre ! Après avoir songé à