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LA CHASSE AU MÉTÉORE

« Tu veux exploiter le bolide ? demanda M. Lecœur, en regardant son filleul bien en face.

— Pourquoi pas ? Qu’y a-t-il d’extraordinaire à cela ?

— Mais ce bolide est à quatre cents kilomètres du sol, tu viens de le dire toi-même. Tu n’as pas la prétention, je pense, de t’élever jusque-là ?

— À quoi bon, si je le fais tomber ?

— Le moyen ?

— Je l’ai, ça suffit.

— Tu l’as !… tu l’as !… Comment agiras-tu sur un corps aussi lointain ? Où prendras-tu ton point d’appui ? Quelle force mettras-tu en ce jeu ?

— Ce serait trop long de vous expliquer tout ça, répondit Zéphyrin Xirdal, et, d’ailleurs, bien inutile : vous ne comprendriez pas.

— Trop aimable ! » remercia M. Lecœur sans se fâcher.

Sur ses instances, son filleul consentit cependant à donner quelques explications succinctes. Ces explications, le narrateur de cette singulière histoire les abrégera encore, en indiquant que, malgré son goût bien connu pour les spéculations hasardeuses, il n’entend nullement prendre parti au sujet de ces théories intéressantes, mais peut-être trop audacieuses.

Pour Zéphyrin Xirdal, la matière n’est qu’une apparence ; elle n’a pas d’existence réelle. Il prétend le prouver par l’incapacité où l’on est d’imaginer sa constitution intime. Qu’on la décompose en molécules, atomes, particules, il restera toujours une dernière fraction pour laquelle le problème se reposera intégralement, et ce sera éternellement à recommencer, jusqu’au moment où l’on admettra un principe premier qui ne sera pas de la matière. Ce premier principe immatériel, c’est l’énergie.

Qu’est-ce que l’énergie ? Zéphyrin Xirdal confesse n’en rien savoir. L’homme n’étant en relation avec le monde extérieur que par ses sens, et les sens de l’homme étant exclusivement sensibles aux excitations d’ordre matériel, tout ce qui n’est pas matière reste ignoré de lui. S’il peut, par un effort de la raison pure, admettre l’existence d’un monde immatériel, il est dans l’impossibilité d’en concevoir la nature, faute de termes de comparaison. Et il en sera ainsi tant que l’humanité n’aura pas acquis de sens nouveaux, ce qui n’est pas absurde a priori.