Page:Verne - Le Docteur Ox.djvu/113

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
99
maître zacharius

de Satan eût passé par là. Mais Zacharius n’y prenait plus garde, et il reprit :

« Entends-tu, ma Gérande ? Je vis, je vis encore ! Écoute ma respiration !… Vois le sang circuler dans mes veines !… Non ! tu ne voudrais pas tuer ton père, et tu accepteras cet homme pour époux, afin que je devienne immortel et que j’atteigne enfin à la puissance de Dieu ! »

À ces mots impies, la vieille Scholastique se signa, et Pittonaccio poussa un rugissement de joie.

« Et puis, Gérande, tu seras heureuse avec lui ! Vois cet homme, c’est le Temps ! Ton existence sera réglée avec une précision absolue ! Gérande ! puisque je t’ai donné la vie, rends la vie à ton père !

— Gérande, murmura Aubert, je suis ton fiancé !

— C’est mon père ! répondit Gérande en s’affaissant sur elle-même.

— Elle est à toi ! dit maître Zacharius. Pittonaccio, tu tiendras ta promesse !

— Voici la clef de cette horloge, » répondit l’horrible personnage.

Maître Zacharius s’empara de cette longue clef, qui ressemblait à une couleuvre déroulée, et il courut à l’horloge, qu’il se mit à monter avec une rapidité fantastique. Le grincement du ressort faisait mal aux nerfs. Le vieil horloger tournait, tournait toujours, sans que son bras s’arrêtât, et il semblait que ce mouvement de rotation fût indépendant de sa volonté. Il tourna ainsi de plus en plus vite et avec des contorsions étranges, jusqu’à ce qu’il tombât de lassitude.

« La voilà montée pour un siècle ! » s’écria-t-il.

Aubert sortit de la salle comme fou. Après de longs détours, il trouva l’issue de cette demeure maudite et s’élança dans la campagne. Il revint à l’ermitage de Notre-Dame du Sex, et il parla au saint homme avec des paroles si désespérées, que celui-ci consentit à l’accompagner au château d’Andernatt.

Si, pendant ces heures d’angoisses, Gérande n’avait pas pleuré, c’est que les larmes s’étaient épuisées dans ses yeux.

Maître Zacharius n’avait pas quitté cette immense salle. Il venait à chaque minute écouter les battements réguliers de la vieille horloge.

Cependant, dix heures avaient sonné, et, à la grande épouvante de Scholastique, ces mots étaient apparus sur le cadre d’argent :

L’homme peut devenir l’égal de Dieu.

Non-seulement le vieillard n’était plus choqué par ces maximes impies, mais il les lisait avec délire et se complaisait à ces pensées d’orgueil, tandis que Pittonaccio tournait autour de lui.

L’acte de mariage devait se signer à minuit. Gérande, presque inanimée, ne