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l’approche de l’hiver.

field se forma peu à peu par l’agrégation des glaçons épars et se souda au littoral. Mais cet icefield océanique, ce n’était plus le miroir uni du lac. L’agitation des flots avait altéré sa pureté. Çà et là ondulaient de longues pièces solidifiées, imparfaitement réunies par leurs bords, quelques-unes de ces glaces flottantes connues sous la dénomination de « drift-ices », et, en maint endroit, des protubérances, des extumescences souvent très accusées, produites par la pression, et que les baleiniers appellent des « hummocks ».

En quelques jours, l’aspect du cap Bathurst et de ses environs fut entièrement changé. Mrs. Paulina Barnett, dans un perpétuel ravissement, assistait à ce spectacle nouveau pour elle. De quelles souffrances, de quelles fatigues, son âme de voyageuse n’eût-elle pas payé la contemplation de telles choses ! Rien de sublime comme cet envahissement de la saison hivernale, de cette prise de possession des régions hyperboréennes par le froid de l’hiver ! Aucun des points de vue, aucun des sites que Mrs. Paulina Barnett avait observés jusqu’alors, n’était reconnaissable. La contrée se métamorphosait. Un pays nouveau naissait, devant ses regards, pays empreint d’une tristesse grandiose. Les détails disparaissaient, et la neige ne laissait plus au paysage que ses grandes lignes, à peine estompées dans les brumes. C’était un décor qui succédait à un autre décor, avec une rapidité féerique. Plus de mer, là où naguère s’étendait le vaste Océan. Plus de sol aux couleurs variées, mais un tapis éblouissant. Plus de forêts d’essences diverses, mais un fouillis de silhouettes grimaçantes, poudrées par les frimas. Plus de soleil radieux, mais un disque pâli, se traînant à travers le brouillard, traçant un arc rétréci pendant quelques heures à peine. Enfin, plus d’horizon de mer, nettement profilé sur le ciel, mais une interminable chaîne d’icebergs, capricieusement ébréchée, formant cette banquise infranchissable que la nature a dressée entre le pôle et ses audacieux chercheurs.

Que de conversations, que d’observations, les changements de cette contrée arctique provoquèrent ! Thomas Black fut le seul peut-être qui restât insensible aux sublimes beautés de ce spectacle. Mais que pouvait-on attendre d’un astronome si absorbé, et qui jusqu’ici ne comptait véritablement pas dans le personnel de la petite colonie ? Ce savant exclusif ne vivait que dans la contemplation des phénomènes célestes, il ne se promenait que sur les routes azurées du firmament, il ne s’élançait d’une étoile que pour aller à une autre ! Et précisément voilà que son ciel se bouchait, que les constellations se dérobaient à sa vue, qu’un voile brumeux, impénétrable, s’étendait entre le zénith et lui. Il était furieux ! Mais Jasper Hobson le consola en lui promettant avant peu de belles nuits froides, très-propices