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à travers le champ de glace.

compter maintenant que sur l’embarcation, dont on ne pourrait se servir avant six mois, c’est-à-dire quand la mer serait redevenue libre.

L’hivernage commença donc. Les traîneaux furent déchargés, les provisions rentrèrent à l’office ; les vêtements, les armes, les ustensiles, les fourrures, dans les magasins. Les chiens réintégrèrent leur « dog-house », et les rennes domestiques, leur étable.

Thomas Black dut s’occuper aussi de son réemménagement, et avec quel désespoir ! Le malheureux astronome reporta ses instruments, ses livres, ses cahiers dans sa chambre, et, plus irrité que jamais de « cette fatalité qui s’acharnait contre lui », il resta, comme avant, absolument étranger à tout ce qui se passait dans la factorerie.

Un jour suffit à la réinstallation générale, et alors recommença cette existence des hiverneurs, existence peu accidentée et qui paraîtrait si effroyablement monotone aux habitants des grandes villes. Les travaux d’aiguille, le raccommodage des vêtements, et même l’entretien des fourrures dont une partie du précieux stock, peut-être, pourrait être sauvée, puis, l’observation du temps, la surveillance du champ de glace, enfin la lecture, telles étaient les occupations et les distractions quotidiennes. Mrs. Paulina Barnett présidait à tout, et son influence se faisait sentir en toutes choses. Si, parfois, un léger désaccord survenait entre ces soldats, rendus quelquefois difficiles par les agacements du présent et les inquiétudes de l’avenir, il se dissipait vite aux paroles de Mrs. Paulina Barnett. La voyageuse avait un grand empire sur ce petit monde et ne l’employa jamais qu’au bien commun.

Kalumah s’était de plus en plus attachée à elle. Chacun aimait d’ailleurs la jeune Esquimaude, qui se montrait douce et serviable. Mrs. Paulina Barnett avait entrepris de faire son éducation, et elle y réussissait, car son élève était vraiment intelligente et friande de savoir. Elle la perfectionna dans l’étude de la langue anglaise, et elle lui apprit à lire et à écrire. D’ailleurs, en ces matières, Kalumah trouvait dix maîtres qui se disputaient le plaisir de la former ; car, de tous ces soldats, élevés dans les possessions anglaises ou en Angleterre, il n’en était pas un qui ne sût lire, écrire et compter.

La construction du bateau fut activement poussée, et il devait être entièrement bordé et ponté avant la fin du mois. Au milieu de cette obscure atmosphère, Mac Nap et ses hommes travaillaient assidûment à la lueur de résines enflammées, pendant que les autres s’occupaient du gréement dans les magasins de la factorerie. La saison, bien qu’elle fût déjà fort avancée, demeurait toujours indécise. Le froid, quelquefois très vif, ne tenait pas, — ce qu’il fallait évidemment attribuer à la permanence des vents d’ouest.