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les mois d’hiver.

de l’œil. Mais deux jours après, les taches de la peau prirent une teinte violette, puis blanche, et elles tombèrent en squames.

C’est alors qu’il fallut redoubler de prudence et combattre l’inflammation interne qui dénotait la malignité de la maladie. Rien ne fut négligé, et l’on peut dire que ce petit être fut admirablement soigné. Ainsi, vers le 20 janvier, douze jours après l’invasion du mal, on put concevoir le légitime espoir de le sauver.

Ce fut une joie dans la factorerie. Ce bébé, c’était l’enfant du fort, l’enfant de troupe, l’enfant du régiment ! Il était né sous ce rude climat, au milieu de ces braves gens. Ils l’avaient nommé Michel-Espérance, et ils le regardaient, parmi tant d’épreuves, comme un talisman que le ciel ne voudrait pas leur enlever. Quant à Kalumah, on peut croire qu’elle serait morte de la mort de cet enfant ; mais le petit Michel revint peu à peu à la santé, et il sembla qu’il ramenait l’espoir avec lui.

On était arrivé ainsi, au milieu de tant d’inquiétudes, au 23 janvier. La situation de l’île Victoria ne s’était modifiée en aucune façon. L’interminable nuit couvrait encore la mer polaire. Pendant quelques jours, une neige abondante tomba et s’entassa sur le sol de l’île et sur le champ de glace à une hauteur de deux pieds.

Le 27, le fort reçut une visite assez inattendue. Les soldats Belcher et Pen, qui veillaient sur le front de l’enceinte, aperçurent, dans la matinée, un ours gigantesque qui se dirigeait tranquillement du côté du fort. Ils rentrèrent dans la salle commune, et signalèrent à Mrs. Paulina Barnett la présence du redoutable carnassier.

« Ce ne peut être que notre ours ! » dit Mrs. Paulina Barnett à Jasper Hobson, et tous les deux, suivis du sergent, de Sabine et de quelques soldats armés de fusil, ils gagnèrent la poterne.

L’ours était à deux cents pas et marchait tranquillement, sans hésitation, comme s’il eût eu un plan bien arrêté.

« Je le reconnais, s’écria Mrs. Paulina Barnett. C’est ton ours, Kalumah, c’est ton sauveur !

— Oh ! ne tuez pas mon ours ! s’écria la jeune indigène.

— On ne le tuera pas, répondit le lieutenant Hobson. Mes amis, ne lui faites aucun mal, et il est probable qu’il s’en ira comme il est venu.

— Mais s’il veut pénétrer dans l’enceinte… dit le sergent Long, qui croyait peu aux bons sentiments des ours polaires.

— Laissez-le entrer, sergent, répondit Mrs. Paulina Barnett. Cet animal-là a perdu toute férocité. Il est prisonnier comme nous, et, vous le savez, les prisonniers…

— Ne se mangent pas entre eux ! dit Jasper Hobson, cela est vrai, madame,