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une dernière exploration

Ce bateau pouvait facilement contenir le personnel de l’île Victoria, et il était évident que si, comme on pouvait l’espérer, l’île s’engageait dans le détroit de Behring, il pourrait aisément franchir même la plus grande distance qui pût le séparer alors de la côte américaine. Il n’y avait donc plus qu’à attendre la débâcle des glaces.

Le lieutenant Hobson eut alors l’idée d’entreprendre une assez longue excursion au sud-est, dans le but de reconnaître l’état de l’icefield, d’observer s’il présentait des symptômes de prochaine dissolution, d’examiner la banquise elle-même, de voir enfin si, dans l’état actuel de la mer, tout passage vers le continent américain était encore obstrué. Bien des incidents, bien des hasards pouvaient se produire avant que la rupture des glaces eût rendu la mer libre, et opérer une reconnaissance du champ de glace était un acte de prudence.

L’expédition fut donc résolue, et le départ fixé au 7 mars. La petite troupe se composa du lieutenant Hobson, de la voyageuse, de Kalumah, de Marbre et de Sabine. Il était convenu que, si la route était praticable, on chercherait un passage à travers la banquise, mais qu’en tout cas, Mrs. Paulina Barnett et ses compagnons ne prolongeraient pas leur absence au-delà de quarante-huit heures.

Les vivres furent donc préparés, et le détachement, bien armé, à tout hasard, quitta le fort Espérance dans la matinée du 7 mars et se dirigea vers le cap Michel.

Le thermomètre marquait alors trente-deux degrés Fahrenheit (0 centig.). L’atmosphère était légèrement brumeuse, mais calme. Le soleil décrivait son arc diurne pendant sept ou huit heures déjà au-dessus de l’horizon, et ses rayons obliques projetaient une clarté suffisante sur tout le massif des glaces.

À neuf heures, après une courte halte, le lieutenant Hobson et ses compagnons descendaient le talus du cap Michel et s’avançaient sur le champ dans la direction du sud-est. De ce côté, la banquise ne s’élevait pas à trois milles du cap.

La marche fut assez lente, on le pense bien. À tout moment, il fallait tourner, soit une crevasse profonde, soit un infranchissable hummock. Aucun traîneau n’aurait évidemment pu s’aventurer sur cette route raboteuse. Ce n’était qu’un amoncellement de blocs de toute taille et de toutes formes, dont quelques-uns ne se tenaient que par un miracle d’équilibre. D’autres étaient tombés récemment, ainsi qu’on le voyait à leurs cassures nettes, à leurs angles affilés comme des lames. Mais, au milieu de ces éboulis, pas une trace qui annonçât le passage d’un homme ou d’un animal ! Nul être vivant dans ces solitudes, que les oiseaux avaient eux-mêmes abandonnées !