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une tempête sur un lac.

chassés vers le sud. Les craintes du vieux marin s’étaient réalisées. Le vent soufflait du nord, et il ne devait pas tarder à prendre les proportions d’un ouragan en s’abattant sur le lac.

« Attention ! » cria Norman, en roidissant l’écoute de manière à présenter l’embarcation debout au vent sous l’action de la barre.

La rafale arriva. Le canot se coucha d’abord sur le flanc, puis il se releva et bondit au sommet d’une lame. À partir de ce moment, la houle s’accrut comme elle eût fait sur une mer. Dans ces eaux relativement peu profondes, les lames, se choquant lourdement contre le fond du lac, rebondissaient ensuite à une prodigieuse hauteur.

« À l’aide ! à l’aide ! » avait crié le vieux marin, en essayant d’amener rapidement sa voile.

Jasper Hobson, Mrs. Paulina Barnett elle-même, tentèrent d’aider Norman, mais sans succès, car ils étaient peu familiarisés avec la manœuvre d’une embarcation. Norman, ne pouvant abandonner sa barre, et les drisses étant engagées à la tête du mât, la voile n’amenait pas. À chaque instant, le canot menaçait de chavirer, et déjà de gros paquets de mer l’assaillaient par le flanc. Le ciel, très chargé, s’assombrissait de plus en plus. Une froide pluie, mêlée de neige, tombait à torrents, et l’ouragan redoublait de fureur, en échevelant la crête des lames.

« Coupez ! coupez donc ! » cria le vieux marin au milieu des mugissements de la tempête.

Jasper Hobson, décoiffé par le vent, aveuglé par les averses, saisit le couteau de Norman et trancha la drisse tendue comme une corde de harpe. Mais le filin mouillé ne courait plus dans la gorge des poulies, et la vergue resta apiquée en tête du mât.

Norman voulut fuir alors, fuir dans le sud, puisqu’il ne pouvait tenir tête au vent ; fuir, quoique cette allure fût extrêmement périlleuse, au milieu de lames dont la vitesse dépassait celle de son embarcation ; fuir, bien que cette fuite risquât de l’entraîner irrésistiblement jusqu’aux rives méridionales du Grand-Ours !

Jasper Hobson et sa courageuse compagne avaient conscience du danger qui les menaçait. Ce frêle canot ne pouvait résister longtemps aux coups de mer. Ou il serait démoli, ou il chavirerait. La vie de ceux qu’il portait était entre les mains de Dieu.

Cependant ni le lieutenant ni Mrs. Paulina Barnett ne se laissèrent aller au désespoir. Accrochés à leurs bancs, couverts de la tête aux pieds par les froides douches des lames, trempés de pluie et de neige, enveloppés par les sombres rafales, ils regardaient à travers les brumes. Toute terre avait disparu. À une encablure du canot, les nuages et