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le pays des fourrures.

le rivage, capricieusement festonné, creusé de criques et d’anses, hérissé de caps aigus et de promontoires abrupts, allait se perdre dans ce confus enchevêtrement de détroits, de pertuis, de passes, qui donne aux cartes des continents polaires un si bizarre aspect. De l’autre côté, sur la gauche de l’estuaire, à partir de l’embouchure même de la Coppermine, la côte remontait au nord et se terminait par le cap Kruzenstern.

Cet estuaire portait le nom de Golfe-du-Couronnement, et ses eaux étaient semées d’îles, îlets, îlots, qui constituaient l’Archipel du Duc-d’York.

Après avoir conféré avec le sergent Long, Jasper Hobson résolut d’accorder, en cet endroit, un jour de repos à ses compagnons.

L’exploration proprement dite, qui devait permettre au lieutenant de reconnaître le lieu propice à l’établissement d’une factorerie, allait véritablement commencer. La Compagnie avait recommandé à son agent de se maintenir autant que possible au-dessus du soixante-dixième parallèle, et sur les bords de la mer Glaciale. Or, pour remplir son mandat, le lieutenant ne pouvait chercher que dans l’ouest un point qui fût aussi élevé en latitude et qui appartînt au continent américain. Vers l’est, en effet, toutes ces terres si divisées font plutôt partie des territoires arctiques, sauf peut-être la terre de Boothia, franchement coupée par ce soixante-dixième parallèle, mais dont la conformation géographique est encore très indécise.

Longitude et latitude prises, Jasper Hobson, après avoir relevé sa position sur la carte, vit qu’il se trouvait encore à plus de cent milles au-dessous du soixante-dixième degré. Mais au-delà du cap Kruzenstern, la côte, courant vers le nord-est, dépassait par un angle brusque le soixante-dixième parallèle, à peu près sur le cent trentième méridien, et précisément à la hauteur de ce cap Bathurst, indiqué comme lieu de rendez-vous par le capitaine Craventy. C’était donc ce point qu’il fallait atteindre, et c’est là que le nouveau fort s’élèverait, si l’endroit offrait les ressources nécessaires à une factorerie.

« Là, sergent Long, dit le lieutenant en montrant au sous-officier la carte des contrées polaires, là nous serons dans les conditions qui nous sont imposées par la Compagnie. En cet endroit, la mer, libre une grande partie de l’année, permettra aux navires du détroit de Behring d’arriver jusqu’au fort, de le ravitailler et d’en exporter les produits.

— Sans compter, ajouta le sergent Long, que, puisqu’ils se seront établis au-delà du soixante-dixième parallèle, nos gens auront droit à une double paye !

— Cela va sans dire, répondit le lieutenant, et je crois qu’ils l’accepteront sans murmurer.