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LE PILOTE DU DANUBE.

jeu pour lui, et l’on ne comptait plus les sauvetages de ce merveilleux nageur.

Une existence si digne et si droite avait, bien avant les troubles anti-turcs, rendu Serge Ladko populaire à Roustchouk. Innombrables y étaient ses amis, parfois inconnus de lui. On pourrait même dire que ces amis comprenaient l’unanimité des habitants de la ville, si Ivan Striga n’avait pas existé.

C’était aussi un enfant du pays, cet Ivan Striga, comme Serge Ladko, dont il réalisait la vivante antithèse.

Physiquement, il n’y avait entre eux rien de commun, et pourtant un passeport, qui se contente de désignations sommaires, eût employé des termes identiques pour les dépeindre l’un et l’autre.

De même que Ladko, Striga était grand, large d’épaules, robuste, blond de cheveux et de barbe. Lui aussi avait les yeux bleus. Mais à ces traits généraux se limitait la ressemblance. Autant le visage aux lignes nobles de l’un exprimait la cordialité et la franchise, autant les traits tourmentés de l’autre disaient l’astuce et la froide cruauté.

Au moral, la dissemblance s’accentuait encore. Tandis que Ladko vivait au grand jour, nul n’aurait pu dire par quels moyens Striga se procurait l’or qu’il dépensait sans compter. Faute de certitudes à cet égard, l’imagination populaire se donnait libre carrière. On disait que Striga, traître à son pays et à sa race, s’était fait l’espion