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LE SECRET DE WILHELM STORITZ.

lui permettra pas de passer à travers les murs d’une prison.

Ce n’était là que raisonnements, en somme acceptables, que chacun faisait probablement, mais, la situation n’en restait pas moins inquiétante, la sécurité publique compromise. On ne vivait plus que dans les transes. On ne se sentait en sûreté, ni au dehors, ni à l’intérieur des maisons, ni la nuit, ni le jour. Le moindre bruit dans les chambres, un craquement du plancher, une persienne agitée par le vent, un gémissement de la girouette sur le toit, le bourdonnement d’un insecte aux oreilles, le sifflement de la brise par une porte ou une fenêtre mal fermée, tout paraissait suspect. Pendant le va-et-vient de la vie domestique, à table pendant les repas, le soir pendant la veillée, la nuit pendant le sommeil, en admettant que le sommeil fût possible, on ne savait jamais si quelque intrus ne s’était pas introduit dans la maison, si Wilhelm Storitz ou quelque autre n’était pas là, épiant vos démarches, écoutant vos paroles, pénétrant enfin les plus intimes secrets des familles.

Sans doute, il pouvait se faire que cet Allemand eût quitté Ragz et fût retourné à Spremberg. Toutefois, en y réfléchissant, — ce fut l’avis du docteur et du capitaine Haralan, et aussi celui du Gouverneur et du chef de police — pouvait-on raisonnablement admettre que Wilhelm Storitz en eût fini avec ses déplorables attaques ? S’il avait laissé le « baillage de licence » s’accomplir, c’est qu’il n’était pas encore revenu de Spremberg. Mais, le mariage même, il en avait interrompu la célébration, et, dans le cas où Myra recouvrerait la raison, ne chercherait-il pas à l’empêcher encore ? Pourquoi la haine qu’il avait vouée à la famille Roderich serait-elle éteinte, puisqu’elle n’était pas satisfaite ? Les menaces qui avaient retenti dans la cathédrale ne répondaient-elles pas éloquemment à ces questions ?

Non, le dernier mot de cette affaire n’était pas dit, et on était en droit de tout craindre, en pensant aux moyens dont disposait cet homme pour la réalisation de ses projets de vengeance.