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LE SECRET DE WILHELM STORITZ.

faible vitesse propre. De là toute facilité pour observer en détail les paysages offerts à nos regards. Après que la double ville eut été laissée en arrière, la Dorothée, arrivant à l’île Czepel qui sépare le Danube en deux bras, s’engagea dans celui de gauche.

Peut-être le lecteur s’étonne-t-il — en admettant que je doive avoir jamais des lecteurs ! — de la complète banalité d’un voyage dont j’ai commencé par vanter l’étrangeté ? S’il en est ainsi, qu’il prenne patience. Avant qu’il soit longtemps, on aura de l’étrange autant qu’on en peut désirer.

Précisément, ce fut au moment où la Dorothée contournait l’île Czepel, que se produisit le premier incident dont j’ai gardé la mémoire. Un incident des plus insignifiants, d’ailleurs. Ai-je même le droit d’appeler « incident » un fait de si peu d’importance, et, au surplus, totalement imaginaire, ainsi que j’en eus la preuve sur-le-champ ? Quoi qu’il en soit, voici la chose.

J’étais alors à l’arrière du bateau, debout, près de ma petite malle, sur le couvercle de laquelle était cloué un papier où qui voulait pouvait lire mes nom, prénom, adresse et qualité. Accoudé au garde-fou, je laissais béatement errer mes yeux sur la puszta qui se développe en aval de Pest, et je ne pensais à rien, je l’avoue.

Tout à coup, j’eus l’obscure sensation qu’il y avait quelqu’un derrière moi.

Chacun connaît, pour l’avoir goûtée, cette gêne sourde que nous ressentons, quand nous sommes regardés à notre insu par quelqu’un dont nous ignorons la présence. C’est un phénomène mal ou pas expliqué et, au demeurant, assez mystérieux. Eh bien ! à ce moment, j’éprouvai une gêne de ce genre.

Je me retournai brusquement. Dans mon voisinage immédiat, il n’y avait personne.

L’impression avait été si nette, que je restai quelques minutes bouche bée, en constatant ma solitude. Mais enfin il fallait bien