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LE SECRET DE WILHELM STORITZ.

santant, il ne me paraît pas impossible qu’on m’enlève un de ces jours pour portraiturer toute la Cour de Vienne !

— Prends garde, Marc, prends garde ! Voilà qui t’occasionnerait quelque embarras s’il te fallait maintenant quitter Ragz pour te rendre à la Cour !

— Je déclinerais l’invitation le plus respectueusement du monde, mon ami. À présent il ne peut être question de portraits… ou plutôt je viens d’achever le dernier.

— Le sien, n’est-ce pas ?

— Le sien, et ce n’est sans doute pas ce que j’ai fait de plus mal.

— Qui sait ? m’écriai-je. Lorsqu’un peintre est plus préoccupé du modèle que du portrait…

— Enfin, Henri, tu verras !… Je te le répète : plus ressemblant, que nature !… C’est mon genre, paraît-il… Oui, tout le temps que ma chère Myra posait, mes yeux ne pouvaient se détacher d’elle. Mais elle ne plaisantait pas. Ce n’était pas au fiancé, c’était au peintre, qu’elle entendait consacrer ces heures trop courtes… Et mon pinceau courait, sur la toile… Avec quelle passion !… Parfois, il me semblait que le portrait allait s’animer, prendre vie, comme la statue de Galathée…

— Du calme, Pygmalion, du calme. Dis-moi plutôt comment tu es entré en relation avec la famille Roderich.

— C’était écrit.

— Je n’en doute pas, mais encore…

— Plusieurs salons de Ragz m’avaient fait l’honneur de m’admettre dès les premiers jours de mon arrivée. Rien ne pouvait m’être plus agréable, ne fût-ce que pour y passer les soirées toujours longues dans une ville étrangère. Je fréquentais assidûment ces salons où je trouvais bon accueil, et c’est dans l’un d’eux que j’ai renouvelé connaissance avec le capitaine Haralan.

— Renouvelé ?… demandai-je.

— Oui, Henri, car je l’avais déjà plusieurs fois rencontré à Pest. Un officier du plus grand mérite, destiné à un bel avenir,