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le testament d’un excentrique

à ces damnés capitaines, et même au directeur du port, au risque de se faire coffrer.

Bref, deux jours s’écoulèrent jusqu’au soir du 18, et alors il n’y avait plus qu’à tenter par terre ce qu’on ne pouvait tenter par mer. Et que de fatigues, — passe encore — et que de retards à craindre !

Qu’on en juge ! Il faut, en railroad s’entend, traverser la Floride dans sa largeur presque entière de l’ouest à l’est par Thallahassee, jusqu’à Live Oak, puis redescendre au sud pour gagner Tampa ou Punta Gorda sur le golfe du Mexique, soit environ six cents milles avec des trains dont les horaires ne correspondent point. Et c’eût été acceptable, si à partir de là le réseau des voies ferrées avait entièrement desservi la partie méridionale de la presqu’île… Eh bien, non !… Si on ne trouvait pas un navire en partance, il resterait une longue route à parcourir, et dans quelles déplorables conditions !

C’est une triste région, peu habitable, peu habitée, cette portion de la Floride que baignent les eaux du golfe, depuis Cedar Key. Y trouverait-on des moyens de transport, stages, charrettes, chevaux, qui permettraient d’atteindre en quelques jours jusqu’à son extrême pointe ? Et, en admettant que l’on pût se les procurer à prix d’or, quel cheminement lent, pénible, dangereux même, au milieu de ces interminables forêts, sous l’épais plafond des sombres cyprières, parfois impénétrables, à demi noyées entre les eaux stagnantes des bayous, à la merci de ces prairies flottantes de l’herbeuse pistia, dont le sol se dérobe sous le pied, à travers les profondeurs de ces taillis de champignons gigantesques qui éclatent au choc comme des pièces d’artifices, le dédale des plaines marécageuses et des nappes lacustres, où pullulent les alligators et les lamantins, où fourmillent les plus redoutables serpents de la race ophidienne, ces trigonocéphales dont la morsure est mortelle. Tel est cet abominable pays des Everglades, où se sont réfugiées les dernières tribus des Séminoles, beaux et farouches, qui, sous leur chef Oiséola, ont si intrépidement lutté contre l’envahissement fédéral. Seuls, ces indigènes peuvent trouver à vivre ou du moins à végéter sous ce climat humide