Page:Verne - Le Testament d’un excentrique, Hetzel, 1899.djvu/227

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
216
le testament d’un excentrique

brumes, dit-il, et il faut prendre garde de se jeter sur les roches… À mon avis, mieux vaudrait attendre le jour, et si le brouillard se dissipe…

— Je n’attendrai pas », répondit le commodore.

Et, en effet, il ne pouvait attendre, s’il voulait être à Key West le lendemain avant midi.

La Chicola continuait donc de tenir le cap au sud sur une mer qui revenait au calme, au milieu des brouillards, lorsque, vers cinq heures du matin, se produisirent un premier choc, puis un second.

La goélette avait touché contre un écueil.

Soulevée une troisième fois par un irrésistible coup de houle, à moitié démolie, sa coque défoncée de l’avant, elle chavira sur le flanc de bâbord.

À ce moment, un cri se fit entendre.

Turk reconnut la voix du commodore.

Il l’appela et ne reçut aucune réponse.

Les vapeurs étaient si épaisses qu’on ne voyait pas les roches autour de la goélette.

Le patron et ses trois hommes avaient pu prendre pied sur l’écueil.

Avec eux, Turk, désespéré, cherchait, appelait toujours…

Vains appels, vaines recherches.

Mais peut-être ces brumes se dissiperaient-elles, et peut-être Turk retrouverait-il son maître encore vivant ?… Il n’osait l’espérer… De grosses larmes roulaient le long de ses joues…

Vers sept heures, les vapeurs commencèrent à s’éclaircir à travers les basses zones, et la mer se découvrit sur un rayon de quelques encablures…

C’était un amas de roches blanchâtres contre lequel s’était échouée et brisée la Chicola, dont le canot, écrasé dans la collision, était hors de service. À l’est et à l’ouest, pendant un quart de mille, ce banc se prolongeait en récifs, séparés par des coulières, et le ressac y déferlait avec violence.