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les « six ».

loire, et les six petits verres de wisky qui terminaient d’ordinaire son premier repas, celui qu’il prenait à sept heures et demie, lequel devait être suivi de cinq autres au cours de la journée. On voit le rôle important que jouait le chiffre six dans l’existence du fameux boxeur, et peut-être était-ce à sa mystérieuse influence qu’il devait de compter dans le groupe des héritiers de William J. Hypperbone.

Tom Crabbe était un colosse, dépassant de dix pouces les six pieds anglais, et mesurant trois pieds d’une épaule à l’autre, une tête volumineuse, aux cheveux durs et noirs, presque ras tondus sur le crâne, de gros yeux bêtes de bœuf sous d’épais sourcils, le front bas et fuyant, les oreilles décollées, les maxillaires prononcés en gueule, une forte moustache coupée à la commissure des lèvres, toutes ses dents, car les formidables coups de poing ne lui en avaient pas enlevé une seule, un torse comme un muid de bière, des bras comme des bielles, des jambes comme des piliers, faites pour supporter cette énorme architecture humaine.

Humaine, est-ce bien le mot juste ? Non, animale, car il n’y avait que de l’animalité dans ce gigantesque produit. Ses organes opéraient comme ceux d’une machine, lorsqu’on les mettait en jeu, — une machine qui avait pour mécanicien John Milner. Il était célèbre dans les deux Amériques et ne se doutait guère de sa célébrité. Manger, boire, boxer, dormir, à cela se bornaient les actes de son existence, sans aucune dépense intellectuelle. Comprenait-il ce que la chance venait de faire pour lui en l’introduisant dans le groupe des « Six » ?… Savait-il à quel propos, la veille, il avait marché de son pas pesant près du char funèbre aux applaudissements de la foule ?… Vaguement, mais son entraîneur le comprenait en son lieu et place, et tous les droits dont il serait redevable à ce coup de fortune, John Milner saurait bien les faire valoir à son profit.

Il suit de là que ce fut ce dernier qui répondit à l’interview des reporters au sujet de Tom Crabbe. Il leur fournit tous les détails de nature à intéresser les lecteurs de la Freie Presse : son poids personnel — cinq cent trente-trois livres avant ses repas, et cinq cent