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le testament d’un excentrique

de la libre Amérique. Aussi le résultat fut-il que, parmi les assistants désappointés, pas un seul ne se décida à monter dans le train afin d’accompagner Max Réal au moins jusqu’à la première station et de lui faire, comme on dit vulgairement, « un bout de conduite ». Les wagons s’emplirent des seuls voyageurs que les obligations du commerce ou de l’industrie appelaient hors de Chicago.

Max Réal put donc s’installer tout à son aise sur une des banquettes, et Tommy se placer près de lui, car le temps n’était plus où les blancs n’eussent pas supporté dans leur compartiment le voisinage des hommes de couleur.

Enfin le sifflet se fit entendre, le train s’ébranla, la puissante locomotive hennit par sa bouche évasée qui lançait des gerbes d’étincelles mêlées de vapeur.

Et, au milieu de la foule, restée sur le quai, on aurait pu apercevoir le commodore Urrican jeter à ce premier partant des regards chargés de menaces.

Au point de vue du temps, le voyage débutait mal. Ne pas oublier qu’en Amérique, à cette latitude, — et bien que ce soit le parallèle de l’Espagne septentrionale, — l’hiver n’a pas pris fin au mois d’avril. À la surface de ces vastes territoires que ne couvre aucune montagne, il se prolonge jusqu’à cette époque de l’année, et les courants atmosphériques, lancés des régions polaires, s’y déchaînent en toute liberté. Cependant, si le froid commençait à céder devant les rayons du soleil de mai, les rafales troublaient encore l’espace. Des nuages bas, d’où tombaient de larges averses, brouillaient l’horizon et le bornaient à courte distance. Fâcheuse circonstance pour un peintre en quête de sites lumineux et de paysages ensoleillés. Toutefois, mieux valait parcourir les États de l’Union aux premiers jours de la saison printanière. Plus tard, les chaleurs deviendraient insoutenables. Après tout, il était permis d’espérer que le mauvais temps ne durerait pas au delà du mois, et quelques symptômes attestaient déjà de meilleures dispositions climatériques.

Un mot maintenant sur le jeune nègre, depuis deux ans déjà au service de Max Réal, qui allait l’accompagner