Page:Verne - Les Enfants du capitaine Grant.djvu/133

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Paganel, la chaleur de l’été emmagasinée dans l’Océan qui l’absorbe est lentement restituée par lui pendant l’hiver. De là, cette conséquence que les îles ont une température plus uniforme que l’intérieur des continents[1]. Aussi, le climat de la Pampasie occidentale n’a-t-il pas cette égalité qu’il présente sur les côtes, grâce au voisinage de l’Atlantique. Il est soumis à de brusques excès, à des modifications rapides qui font incessamment sauter d’un degré à l’autre les colonnes thermométriques. En automne, c’est-à-dire pendant les mois d’avril et de mai, les pluies y sont fréquentes et torrentielles. Mais à cette époque de l’année le temps était très-sec, et la température fort élevée.

On partit dès l’aube, vérification faite de la route ; le sol, enchaîné par les arbrisseaux et arbustes, offrait une fixité parfaite ; plus de médanos, ni le sable dont ils se formaient, ni la poussière que le vent tenait en suspension dans les airs.

Les chevaux marchaient d’un bon pas, entre les touffes de « paja-brava, » l’herbe pampéenne par excellence, qui sert d’abri aux Indiens pendant les orages. À de certaines distances, mais de plus en plus rares, quelques bas-fonds humides laissaient pousser des saules, et une certaine plante, le « gygnerium argenteum » qui se plaît dans le voisinage des eaux douces. Là, les chevaux se délectaient d’une bonne lampée, prenant le bien quand il venait, et se désaltérant pour l’avenir. Thalcave, en avant, battait les buissons. Il effrayait ainsi les « cholinas », vipères de la plus dangereuse espèce, dont la morsure tue un bœuf en moins d’une heure. L’agile Thaouka bondissait au-dessus des broussailles, et aidait son maître à frayer un passage aux chevaux qui le suivaient.

Le voyage, sur ces plaines unies et droites, s’accomplissait donc facilement et rapidement. Aucun changement ne se produisait dans la nature de la prairie ; pas une pierre, pas un caillou, même à cent milles à la ronde. Jamais pareille monotonie ne se rencontra, ni si obstinément prolongée. De paysages, d’incidents, de surprises naturelles, il n’y avait pas l’ombre ! Il fallait être un Paganel, un de ces enthousiastes savants qui voient là où il n’y a rien à voir, pour prendre intérêt aux détails de la route. À quel propos ? Il n’aurait pu le dire. Un buisson tout au plus ! Un brin d’herbe peut-être. Cela lui suffisait pour exciter sa faconde inépuisable, et instruire Robert, qui se plaisait à l’écouter.

Pendant cette journée du 29 octobre, la plaine se déroula devant les voyageurs avec son uniformité infinie. Vers deux heures, de longues traces d’animaux se rencontrèrent sous le pied des chevaux. C’étaient les

  1. Les hivers de l’Islande sont pour cette raison plus doux que ceux de la Lombardie.