Page:Verne - Les Enfants du capitaine Grant.djvu/179

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lèvres. Quant à Thalcave, il paraissait froissé dans son amour-propre d’Indien de s’être égaré sur une fausse piste. Personne, cependant, ne songeait à lui reprocher une erreur si excusable.

On rentra à la fonda.

Le souper fut triste. Certes, aucun de ces hommes courageux et dévoués ne regrettait tant de fatigues inutilement supportées, tant de dangers vainement encourus. Mais chacun voyait s’anéantir en un instant tout espoir de succès. En effet, pouvait-on rencontrer le capitaine Grant entre la sierra Tandil et la mer ? Non. Le sergent Manuel, si quelque prisonnier fût tombé aux mains des Indiens sur les côtes de l’Atlantique, en aurait été certainement informé. Un événement de cette nature ne pouvait échapper à l’attention des indigènes qui font un commerce suivi de Tandil à Carmen, à l’embouchure de Rio-Negro. Or, entre trafiquants de la plaine argentine, tout se sait, et tout se dit. Il n’y avait donc plus qu’un parti à prendre : rejoindre, et sans tarder, le Duncan, au rendez-vous assigné de la pointe Medano.

Cependant, Paganel avait demandé à Glenarvan le document sur la foi duquel leurs recherches s’étaient si malheureusement égarées. Il le relisait avec une colère peu dissimulée. Il cherchait à lui arracher une interprétation nouvelle.

« Ce document est pourtant bien clair ! répétait Glenarvan. Il s’explique de la manière la plus catégorique sur le naufrage du capitaine et sur le lieu de sa captivité !

— Eh bien, non ! répondit le géographe en frappant la table du poing, cent fois non ! Puisque Harry Grant n’est pas dans les Pampas, il n’est pas en Amérique. Or, où il est, ce document doit le dire, et il le dira, mes amis, ou je ne suis plus Jacques Paganel ! »


CHAPITRE XXII


LA CRUE.


Une distance de cent cinquante milles sépare le fort Indépendance des rivages de l’Atlantique[1]. À moins de retards imprévus, et certainement improbables, Glenarvan en quatre jours devait avoir rejoint le Duncan.

  1. Environ soixante lieues.