Page:Verne - Les Enfants du capitaine Grant.djvu/211

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— Bon, dit le major, voilà une recommandation qui vient à propos !

— Il faut avouer, Paganel, répondit Glenarvan, que vous choisissez bien le moment pour nous conter ces choses rassurantes !

— Bah ! répliqua Paganel, tous les moments sont bons pour s’instruire. Ah ! cela commence ! »

Des éclats de tonnerre plus violents interrompirent cette inopportune conversation ; leur intensité croissait en gagnant des tons plus élevés ; ils se rapprochaient et passaient du grave au médium, pour emprunter à la musique une très-juste comparaison. Bientôt ils devinrent stridents et firent vibrer avec de rapides oscillations les cordes atmosphériques. L’espace était en feu, et dans cet embrasement, on ne pouvait reconnaître à quelle étincelle électrique appartenaient ces roulements indéfiniment prolongés, qui se répercutaient d’écho en écho jusque dans les profondeurs du ciel.

Les éclairs incessants affectaient des formes variées. Quelques-uns, lancés perpendiculairement au sol, se répétaient cinq ou six fois à la même place. D’autres auraient excité au plus haut point la curiosité d’un savant, car si Arago, dans ses curieuses statistiques, n’a relevé que deux exemples d’éclairs fourchus, ils se reproduisaient ici par centaines. Quelques-uns, divisés en mille branches diverses, se débitaient sous l’aspect de zigzags coralliformes, et produisaient sur la voûte obscure des jeux étonnants de lumière arborescente.

Bientôt tout le ciel, de l’est au nord, fut sous-tendu par une bande phosphorique d’un éclat intense. Cet incendie gagna peu à peu l’horizon entier, enflammant les nuages comme un amas de matières combustibles, et, bientôt reflété par les eaux miroitantes, il forma une immense sphère de feu dont l’ombu occupait le point central.

Glenarvan et ses compagnons regardaient silencieusement ce terrifiant spectacle. Ils n’auraient pu se faire entendre. Des nappes de lumière blanche glissaient jusqu’à eux, et dans ces rapides éclats apparaissaient et disparaissaient vivement tantôt la figure calme du major, tantôt la face curieuse de Paganel ou les traits énergiques de Glenarvan, tantôt la tête effarée de Robert ou la physionomie insouciante des matelots animés subitement d’une vie spectrale.

Cependant, la pluie ne tombait pas encore, et le vent se taisait toujours. Mais bientôt les cataractes du ciel s’entr’ouvrirent, et des raies verticales se tendirent comme les fils d’un tisseur sur le fond noir du ciel. Ces larges gouttes d’eau, frappant la surface du lac, rejaillissaient en milliers d’étincelles illuminées par le feu des éclairs.

Cette pluie annonçait-elle la fin de l’orage ? Glenarvan et ses compagnons devaient-ils en être quittes pour quelques douches vigoureusement admi-