Page:Verne - Les Enfants du capitaine Grant.djvu/222

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Il ne savait donc comment reconnaître le désintéressement du brave guide, quand une idée lui vint à l’esprit. Il tira de son portefeuille un médaillon précieux qui entourait un admirable portrait, un chef-d’œuvre de Lawrence, et il l’offrit à l’Indien.

« Ma femme, » dit-il.

Thalcave considéra le portrait d’un œil attendri, et prononça ces simples mots :

« Bonne et belle ! »

Puis Robert, Paganel, le major, Tom Austin, les deux matelots, vinrent avec de touchantes paroles faire leurs adieux au Patagon. Ces braves gens étaient sincèrement émus de quitter cet ami intrépide et dévoué. Thalcave les pressa tous sur sa large poitrine. Paganel lui fit accepter une carte de l’Amérique méridionale et des deux Océans que l’Indien avait souvent regardée avec intérêt. C’était ce que le savant possédait de plus précieux. Quant à Robert, il n’avait que ses caresses à donner ; il les offrit à son sauveur, et Thaouka ne fut pas oublié dans sa distribution.

En ce moment, l’embarcation du Duncan approchait ; elle se glissa dans un étroit chenal creusé entre les bancs, et vint bientôt échouer au rivage.

« Ma femme ? demanda Glenarvan.

— Ma sœur ? s’écria Robert.

— Lady Helena et miss Grant vous attendent à bord, répondit le patron du canot. Mais partons, Votre Honneur, nous n’avons pas une minute à perdre, car le jusant commence à se faire sentir. »

Les derniers embrassements furent prodigués à l’Indien. Thalcave accompagna les amis jusqu’à l’embarcation, qui fut remise à flot. Au moment où Robert montait à bord, l’Indien le prit dans ses bras et le regarda avec tendresse.

« Et maintenant va, dit-il, tu es un homme !

— Adieu, ami ! adieu ! dit encore une fois Glenarvan.

— Ne nous reverrons-nous jamais ? s’écria Paganel.

Quien sabe[1] ? » répondit Thalcave, en levant son bras vers le ciel.

Ce furent les dernières paroles de l’Indien, qui se perdirent dans le souffle du vent.

On poussa au large. Le canot s’éloigna, emporté par la mer descendante. Longtemps, la silhouette immobile de Thalcave apparut à travers l’écume des vagues. Puis sa grande taille s’amoindrit, et il disparut aux yeux de ses amis d’un jour.

Une heure après, Robert s’élançait le premier à bord du Duncan et se

  1. Qui sait ?