Page:Verne - Les Enfants du capitaine Grant.djvu/517

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
509
du capitaine grant.

masses vésiculaires, qui fondirent sous le regard de l’astre radieux. Les rives embrumées se dégagèrent, et le cours du Waikato apparut dans toute sa matinale beauté.

Une langue de terre, finement allongée, hérissée d’arbrisseaux, venait mourir en pointe à la réunion des deux courants. Les eaux du Waipa, plus fougueuses, refoulaient les eaux du Waikato pendant un quart de mille avant de s’y confondre ; mais le fleuve, puissant et calme, avait bientôt raison de la rageuse rivière, et il l’entraînait paisiblement dans son cours jusqu’au réservoir du Pacifique.

Lorsque les vapeurs se levèrent, une embarcation se montra, qui remontait le courant du Waikato. C’était un canot long de soixante-dix pieds, large de cinq, profond de trois, l’avant relevé comme une gondole vénitienne, et taillé tout entier dans le tronc d’un sapin kahikatea. Un lit de fougère sèche en garnissait le fond. Huit avirons à l’avant le faisaient voler à la surface des eaux, pendant qu’un homme, assis à l’arrière, le dirigeait au moyen d’une pagaie mobile.

Cet homme était un indigène de grande taille, âgé de quarante-cinq ans environ, à la poitrine large, aux membres musculeux, armé de pieds et de mains vigoureux. Son front bombé et sillonné de plis épais, son regard violent, sa physionomie sinistre, en faisaient un personnage redoutable.

C’était un chef maori, et de haut rang. On le voyait au tatouage fin et serré qui zébrait son corps et son visage. Des ailes de son nez aquilin partaient deux spirales noires qui, cerclant ses yeux jaunes, se rejoignaient sur son front et se perdaient dans sa magnifique chevelure. Sa bouche aux dents éclatantes et son menton disparaissaient sous de régulières bigarrures, dont les élégantes volutes se contournaient jusqu’à sa robuste poitrine.

Le tatouage, le « moko » des Néo-Zélandais, est une haute marque de distinction. Celui-là seul est digne de ces paraphes honorifiques qui a figuré vaillamment dans quelques combats. Les esclaves, les gens du bas peuple, ne peuvent y prétendre. Les chefs célèbres se reconnaissent au fini, à la précision et à la nature du dessin qui reproduit souvent sur leurs corps des images d’animaux. Quelques-uns subissent jusqu’à cinq fois l’opération fort douloureuse du moko. Plus on est illustre, plus on est « illustré » dans ce pays de la Nouvelle-Zélande.

Dumont-d’Urville a donné de curieux détails sur cette coutume. Il a justement fait observer que le moko tenait lieu de ces armoiries dont certaines familles sont si vaines en Europe. Mais il remarque une différence entre ces deux signes de distinction : c’est que les armoiries des Européens