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les enfants

se détachaient vivement en noir sur le clair rideau des flammes. Mais tous portaient de fréquents regards sur la hutte confiée à leur surveillance.

On dit qu’entre un geôlier qui veille et un prisonnier qui veut fuir, les chances sont pour le prisonnier. En effet, l’intérêt de l’un est plus grand que l’intérêt de l’autre. Celui-ci peut oublier qu’il garde, celui-là ne peut pas oublier qu’il est gardé. Le captif pense plus souvent à fuir que son gardien à empêcher sa fuite. De là, des évasions fréquentes et merveilleuses.

Mais, ici, c’était la haine, la vengeance, qui surveillaient les captifs, et non plus un geôlier indifférent. Si les prisonniers n’avaient point été attachés, c’est que des liens étaient inutiles, puisque vingt-cinq hommes veillaient à la seule issue du Waré-Atoua.

Cette case, adossée au roc qui terminait le retranchement, n’était accessible que par une étroite langue de terre qui la reliait par devant au plateau du pah. Ses deux autres côtés s’élevaient au-dessus de flancs à pic et surplombaient un abîme profond de cent pieds. Par là, la descente était impraticable. Nul moyen non plus de fuir par le fond, que cuirassait l’énorme rocher. La seule issue, c’était l’entrée même du Waré-Atoua, et les Maoris gardaient cette langue de terre qui la réunissait au pah comme un pont-levis. Toute évasion était donc impossible, et Glenarvan, après avoir pour la vingtième fois sondé les murs de sa prison, fut obligé de le reconnaître.

Les heures de cette nuit d’angoisses s’écoulaient cependant. D’épaisses ténèbres avaient envahi la montagne. Ni lune ni étoiles ne troublaient la profonde obscurité. Quelques rafales de vent couraient sur les flancs du pah. Les pieux de la case gémissaient. Le foyer des indigènes se ranimait soudain à cette ventilation passagère, et le reflet des flammes jetait des lueurs rapides à l’intérieur du Waré-Atoua. Le groupe des prisonniers s’éclairait un instant. Ces pauvres gens étaient absorbés dans leurs pensées dernières. Un silence de mort régnait dans la hutte.

Il devait être quatre heures du matin environ, quand l’attention du major fut éveillée par un léger bruit qui semblait se produire derrière les poteaux du fond, dans la paroi de la hutte adossée au massif. Mac Nabbs, d’abord indifférent à ce bruit, voyant qu’il continuait, écouta ; puis, intrigué de sa persistance, il colla, pour le mieux apprécier, son oreille contre la terre. Il lui sembla qu’on grattait, qu’on creusait à l’extérieur.

Quand il fut certain du fait, le major, se glissant près de Glenarvan et de John Mangles, les arracha à leurs douloureuses pensées et les conduisit au fond de la case.

« Écoutez, » dit-il à voix basse, en leur faisant signe de se baisser.