Page:Verne - Les Enfants du capitaine Grant.djvu/91

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Le signal du départ fut aussitôt donné, et l’on s’enfonça dans la vallée de las Lejas, entre de grandes masses de calcaire cristallisé. On montait suivant une pente presque insensible. Vers onze heures, il fallut contourner les bords d’un petit lac, réservoir naturel et rendez-vous pittoresque de tous les rios du voisinage ; ils y arrivaient en murmurant et s’y confondaient dans une limpide tranquillité. Au-dessus du lac s’étendaient de vastes « llanos, » hautes plaines couvertes de graminées, où paissaient des troupeaux indiens. Puis, un marais se rencontra qui courait sud et nord, et dont on se tira, grâce à l’instinct des mules. À une heure, le fort Ballenare apparut sur un roc à pic qu’il couronnait de ses courtines démantelées. On passa outre. Les pentes devenaient déjà raides, pierreuses, et les cailloux, détachés par le sabot des mules, roulaient sous leurs pas en formant de bruyantes cascades de pierres. Vers trois heures, nouvelles ruines pittoresques d’un fort détruit dans le soulèvement de 1770.

« Décidément, dit Paganel, les montagnes ne suffisent pas à séparer les hommes, il faut encore les fortifier ! »

À partir de ce point, la route devint difficile, périlleuse même ; l’angle des pentes s’ouvrit davantage, les corniches se rétrécirent de plus en plus, les précipices se creusèrent effroyablement. Les mules avançaient prudemment, le nez à terre, flairant le chemin. On marchait en file. Parfois, à un coude brusque, la madrina disparaissait, et la petite caravane se guidait alors au bruit lointain de sa sonnette. Souvent aussi, les capricieuses sinuosités du sentier ramenaient la colonne sur deux lignes parallèles, et le catapaz pouvait parler aux péons, tandis qu’une crevasse, large de deux toises à peine, mais profonde de deux cents, creusait entre eux un infranchissable abîme.

La végétation herbacée luttait encore, cependant, contre les envahissements de la pierre, mais on sentait déjà le règne minéral aux prises avec le règne végétal. Les approches du volcan d’Antuco se reconnaissaient à quelques traînées de lave d’une couleur ferrugineuse et hérissées de cristaux jaunes en forme d’aiguilles. Les rocs, entassés les uns sur les autres, et prêts à choir, se tenaient contre toutes les lois de l’équilibre. Évidemment, les cataclysmes devaient facilement modifier leur aspect, et, à considérer ces pics sans aplomb, ces dômes gauches, ces mamelons mal assis, il était facile de voir que l’heure du tassement définitif n’avait pas encore sonné pour cette montagneuse région.

Dans ces conditions, la route devait être difficile à reconnaître. L’agitation presque incessante de la charpente andine en change souvent le tracé, et les points de repère ne sont plus à leur place. Aussi le catapaz hésitait-il ; il s’arrêtait ; il regardait autour de lui ; il interrogeait la forme des