Page:Verne - Les Naufragés du Jonathan, Hetzel, 1909.djvu/123

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Grand, robuste, habitué à la vie libre dans le plein air, il possédait cette grâce d’attitude que donnent la souplesse des membres et l’harmonie des mouvements. D’autre part, outre que son intelligence, ouverte par les leçons du Kaw-djer, n’était pas médiocre, la bonté et la droiture se lisaient dans ses yeux. C’en était là plus qu’il ne fallait pour toucher le cœur d’une jeune fille malheureuse.

Du jour où, sans s’être dit un seul mot, Halg et Graziella se sentirent complices, les heures coulèrent vite pour eux. Que leur importait la tempête ? Que leur importait le froid ? Les intempéries rendaient l’intimité plus douce, et, loin de souhaiter, ils redoutaient le retour du beau temps.

Il reparut pourtant, et les émigrants, qui n’avaient pas les mêmes raisons d’indifférence, apprécièrent vivement le changement. Comme d’un coup de baguette, le campement s’anima. Maisons et tentes se vidèrent. Tandis que les hommes étiraient leurs membres engourdis par cette longue claustration, les commères, heureuses de renouveler interlocutrices et auditoires, allèrent de porte en porte, échangeant des visites, ébauchant des amitiés, dont l’objet, fait digne de remarque, n’était jamais l’une de celles avec qui elles venaient de vivre près de quinze jours côte à côte.

Karroly mit à profit le temps favorable pour commencer les réparations de la Well-Kiej avec les charpentiers qui l’avaient déjà aidé une première fois. Les constructeurs étant dans l’obligation de faire eux-mêmes tous les travaux préparatoires : abattage, débitage et cintrage du bois, ces réparations exigeraient un mois de travail, c’est-à-dire qu’elles ne seraient pas achevées avant trois mois, en tenant compte des interruptions imposées par le mauvais temps.

Pendant que Karroly et ses compagnons manœuvraient varlope et scie, le Kaw-djer, désireux de se procurer pour lui-même et pour les malades des provisions fraîches, partit en chasse avec son chien Zol. De ce que l’archipel subît les rigueurs de l’hiver, de ce que la neige commençât à couvrir les plaines et la glace à coiffer les hauteurs, il ne s’ensuivait pas que la vie animale fût supprimée. Les forêts abritaient toujours des ruminants en grand nombre, des nandous, des guanaques, des vigognes, des renards. Au-dessus des prairies voletaient toujours des oies de montagne, de petites perdrix, des bécasses et des