Page:Verne - Les Naufragés du Jonathan, Hetzel, 1909.djvu/194

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Ramassant son fusil, il se leva. Puis, frappant la crosse contre le sol :

— En voilà assez de cette comédie, signifia-t-il durement. J’ai dit : Venez les prendre.

Excité par l’attitude de son maître, Zol montra les dents. Beauval, intimidé, tant par cette manifestation hostile, que par le ton résolu et la carrure herculéenne de son interlocuteur, jugea préférable de ne pas insister. Prudemment, il battit en retraite, en mâchonnant de confuses paroles, dont le sens général était que le cas serait soumis au Conseil, lequel arrêterait telles mesures qu’il appartiendrait.

Sans l’écouter, le Kaw-djer lui avait tourné le dos et laissait son regard errer de nouveau sur la mer. L’incident comportait une leçon, toutefois, et cette leçon, Harry Rhodes voulut la mettre en évidence.

« Que pensez-vous de la démarche de Beauval ? demanda-t-il.

— Que voulez-vous que j’en pense ? répondit le Kaw-djer. Que peuvent me faire les faits et gestes de ce fantoche ?

— Fantoche, soit ! riposta Harry Rhodes. Mais gouverneur en même temps.

— Nommé par lui-même, alors, car il n’y a pas soixante colons au campement.

— Une voix suffit quand personne n’en a davantage.

Le Kaw-djer haussa les épaules.

— Je vous demande pardon à l’avance de ce que je vais vous dire, reprit Harry Rhodes, mais, en vérité, n’éprouvez-vous pas quelques regrets, je dirai plus, quelques remords ?

— Moi ?…

— Vous. Seul de tous les colons, vous avez l’expérience de ce pays que vous habitez depuis de longues années et dont vous connaissez les ressources et les périls ; seul, vous possédez l’intelligence, l’énergie et l’autorité nécessaires pour vous imposer à cette population ignorante et faible, et vous êtes resté spectateur indifférent et inerte ! Au lieu de grouper les bonnes volontés éparses, vous avez laissé tous ces malheureux se disperser sans méthode et sans lien. Que vous le vouliez ou non, vous êtes responsable des misères qui les attendent.

— Responsable !… protesta le Kaw-djer. Mais quel devoir m’incombait que je n’aie rempli ?