Page:Verne - Les Naufragés du Jonathan, Hetzel, 1909.djvu/242

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

XI

un chef.

Quand Halg, toujours privé de sentiment, eut été déposé sur son lit, le Kaw-djer changea son pansement de fortune contre un autre moins sommaire. Les paupières du blessé battirent, ses lèvres s’agitèrent, un peu de rose colora ses joues livides, puis, après quelques faibles gémissements, il passa de l’anéantissement de la syncope à celui du sommeil.

Survivrait-il à sa terrible blessure ? La science humaine ne pouvait l’affirmer. En somme, la situation était grave, mais non désespérée, et il n’était pas absolument impossible que la plaie du poumon se cicatrisât.

Après avoir donné tous les soins que son affection et son expérience lui dictèrent, le Kaw-djer recommanda pour Halg le calme le plus complet et la plus rigoureuse immobilité, et courut à Libéria, où d’autres avaient peut-être besoin de lui.

Le malheur personnel qui venait de l’accabler laissait intact son admirable instinct de dévouement et d’altruisme. Le drame rapide qui déchirait son cœur ne lui faisait pas oublier ces morts et ces blessés, qui, d’après l’ancien cuisinier du Jonathan, attendaient du secours à Libéria. Y avait-il réellement des blessés et des morts, et Sirdey n’avait-il pas menti ? Dans le doute, il fallait se rendre compte par soi-même de la vérité des choses.

Il était à ce moment près de dix heures du soir. La lune, dans son premier quartier, commençait à décliner vers le couchant, et du firmament obscurci de l’orient tombait inépuisablement la cendre impalpable de l’ombre. Dans la nuit grandissante, une vague lueur continuait à rougeoyer au loin. Libéria ne dormait pas encore.