Page:Verne - Les Naufragés du Jonathan, Hetzel, 1909.djvu/322

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bouche et semblant perdu dans ses méditations, les autres avaient imité son mutisme. Et, de même que les lèvres, les visages étaient fermés. L’orage était dans l’air. Des pensées de haine gonflaient les âmes ulcérées.

Dorick, en pénétrant le premier dans la grotte, eut un geste d’effroi. Un feu brûlait près de l’entrée. Quelqu’un était donc venu là, et la flamme encore claire prouvait qu’il s’était écoulé peu de temps depuis le départ de l’intrus.

Un feu !… Dorick songea tout à coup à la poudre. Si le foyer avait été placé quelques mètres plus loin, l’imprudent qui l’avait allumé eût sauté sans recours. Quel danger il avait frôlé, sans le savoir !

Dorick courut au baril… Non, on ne l’avait pas découvert… Il était toujours sous l’amoncellement de branchages, dont on n’avait prélevé qu’un petit nombre pour former le foyer qui pétillait joyeusement.

Pendant ce temps, Kennedy, s’éclairant avec une des branches enflammées, visitait la deuxième grotte. Il en ressortit bien rassuré. Il n’y avait personne. Le visiteur inconnu était décidément parti.

Cette nouvelle transmise à ses compagnons, il éparpilla d’un coup de pied le feu qui, malgré son éloignement de la poudre, ne laissait pas de constituer un danger. Mais Dorick l’arrêta et, rassemblant les tisons dispersés, reconstitua le foyer sur lequel il jeta de nouveaux branchages, tandis que ses compagnons le regardaient faire avec surprise.

« Camarades, dit-il en se relevant, je suis à bout… Déjà, tout à l’heure, j’étais décidé à l’action… Ce que nous avons vu me confirme dans mon projet… On est venu ici… c’est une raison de plus de se hâter, car on peut revenir, et ce qu’on n’a pas trouvé aujourd’hui, on peut le trouver demain.

La voix de Dorick était fébrile, sa parole haletante, ses gestes violents. Visiblement, il était à bout, ainsi qu’il le disait.

À l’exception de Sirdey qui demeura impassible, les autres approuvèrent bruyamment.

— Pour quand, l’opération ? demanda Fred Moore.

— Pour ce soir même… répondit Dorick.

Il ajouta, hachant les mots comme un homme dominé par ses nerfs :