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VI

pendant dix-huit mois.


L’aube du 31 mars se leva sans que le Kaw-djer, agité par les rudes émotions de la veille, eût trouvé le sommeil. Quelles épreuves il venait de traverser ! Quelle expérience il venait de faire ! Il avait touché le fond de l’âme humaine capable à la fois du meilleur et du pire, des instincts les plus féroces et de la plus pure abnégation.

Avant de s’occuper des coupables, il s’était hâté de secourir les innocentes victimes de cet épouvantable drame. Deux brancards improvisés les avaient rapidement transportées au gouvernement.

Lorsque Sand fut déshabillé et reposa sur sa couchette, son état parut plus effrayant encore. Les jambes, littéralement en bouillie, n’existaient plus. Le spectacle de ce jeune corps martyrisé était si pitoyable qu’Hartlepool en eut le cœur chaviré, et que de grosses larmes coulèrent sur ses joues tannées par toutes les brises de la mer.

Avec une patience maternelle, le Kaw-djer pansa cette pauvre chair en lambeaux. De ses jambes terriblement laminées, Sand était condamné, de toute évidence, à ne jamais plus se servir, et, jusqu’à son dernier jour, il lui faudrait mener une vie d’infirme. À cela, rien à faire, mais ce serait quand même un résultat appréciable, si l’on pouvait éviter une amputation qui eût risqué d’être fatale à ce frêle organisme.

Le pansement terminé, le Kaw-djer fit couler quelques gouttes d’un cordial entre les lèvres décolorées du blessé qui commença à pousser de faibles plaintes et à murmurer de confuses paroles.

Dick, dont le Kaw-djer s’occupa en second lieu, paraissait