Page:Verne - Les Naufragés du Jonathan, Hetzel, 1909.djvu/406

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ils firent une première halte à la ferme des Rivière. Trois quarts d’heure plus tôt, les Patagons étaient passés le long de la palissade, sans essayer, cette fois, de la franchir. Abritée derrière les pieux de la clôture, la garnison les avait regardés défiler, et, bien qu’elle ne fût pas au courant des événements de la nuit précédente, personne de ceux qui la composaient n’avait eu la pensée d’envoyer un coup de fusil aux Indiens. Ils avançaient, l’air si déprimé et si las qu’on ne douta pas de leur défaite. Ils n’avaient plus rien de redoutable. Ce n’étaient plus des ennemis, mais seulement des hommes malheureux qui n’inspiraient que la pitié.

Un des cavaliers de tête portait toujours au bout d’une pique cette chose ronde que l’on avait aperçue de l’épaulement. Mais, pas plus que les Libériens au moment du départ, la garnison de la ferme Rivière n’avait pu reconnaître la nature de cet objet singulier.

Sur l’ordre du Kaw-djer, on débarrassa les prisonniers patagons de leurs entraves, et, devant eux, les portes furent ouvertes toutes grandes. Les Indiens ne bougèrent pas. Évidemment, ils ne croyaient pas à la liberté, et, jugeant les autres d’après eux-mêmes, ils redoutaient de tomber dans un piège.

Le Kaw-djer s’approcha de cet Athlinata, avec lequel il avait déjà échangé quelques mots.

« Qu’attendez-vous ? demanda-t-il.

— De connaître le sort qu’on nous réserve, répondit Athlinata.

— Vous n’avez rien à craindre, affirma le Kaw-djer. Vous êtes libres.

— Libres !… répéta l’Indien surpris.

— Oui, les guerriers patagons ont perdu la bataille et retournent dans leurs pays. Partez avec eux : vous êtes libres. Vous direz à vos frères que les hommes blancs n’ont pas d’esclaves et qu’ils savent pardonner. Puisse cet exemple les rendre plus humains ! »

Le Patagon regarda le Kaw-djer d’un air indécis, puis, suivi de ses compagnons, il se mit en marche à pas lents. La troupe désarmée passa entre la double haie de la garnison silencieuse, sortit de l’enceinte, et prit à droite, vers le Nord. À cent mètres en arrière, le Kaw-djer et ses trois cents hommes l’escortaient, barrant la route du Sud.

Aux approches du soir, on aperçut le gros des envahisseurs