Page:Verne - Les Naufragés du Jonathan, Hetzel, 1909.djvu/423

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nouveau travail aussitôt que le précédent est terminé, le Kaw-djer, quand le temps fut arrivé de laisser Halg, devenu un homme à son tour, librement évoluer dans la vie, s’était imposé les devoirs d’une seconde adoption. Dick n’avait pas remplacé Halg, il s’y était ajouté dans son cœur agrandi. Dick avait alors près de dix-neuf ans, et depuis plus de six ans il était l’élève du Kaw-djer. Le jeune homme avait tenu les promesses de l’enfant. Il s’était assimilé sans effort la science du maître et commençait à mériter pour son propre compte le nom de savant. Bientôt le professeur, qui admirait la vivacité et la profondeur de cette intelligence, n’aurait plus rien à apprendre à l’élève.

Déjà ce nom d’élève ne convenait plus à Dick. Précocement mûri par la rude école de ses premiers ans et par les terribles drames auxquels il avait été mêlé, il était, malgré son jeune âge, plutôt que l’élève, le disciple et l’ami du Kaw-djer, qui avait en lui une confiance absolue, et qui se plaisait à le considérer comme son successeur désigné. Germain Rivière et Hartlepool étaient de braves gens assurément, mais le premier n’aurait jamais consenti à délaisser son exploitation forestière, qui donnait des résultats merveilleux, pour se consacrer exclusivement à la chose publique, et Hartlepool, admirable et fidèle exécuteur d’ordres, n’était à sa place qu’au deuxième plan. Tous deux, au surplus, manquaient par trop d’idées générales et de culture intellectuelle pour gouverner un peuple qui avait d’autres intérêts que des intérêts matériels. Harry Rhodes eût été mieux qualifié peut-être. Mais Harry Rhodes, vieillissant, et manquant, d’ailleurs, de l’énergie nécessaire, se fût récusé de lui-même.

Dick réunissait, au contraire, toutes les qualités d’un chef. C’était une nature de premier ordre. Comme savoir, intelligence et caractère, il avait l’étoffe d’un homme d’État, et il y avait lieu seulement de regretter que de si brillantes facultés fussent destinées à être utilisées dans un si petit cadre. Mais une œuvre n’est jamais petite quand elle est parfaite, et le Kaw-djer estimait avec raison que, si Dick pouvait assurer le bonheur des quelques milliers d’êtres dont il était entouré, il aurait accompli une tâche qui ne le céderait en beauté à nulle autre.

Au point de vue politique, la situation était également des plus favorables. Les relations entre l’île Hoste et le Gouver-