Page:Verne - Les Naufragés du Jonathan, Hetzel, 1909.djvu/79

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Dick ouvrit de grands yeux et regarda le Kaw-djer avec incrédulité. Était-il possible qu’il n’y eût pas de maître ? Pouvait-il le croire, cet enfant, pour qui, jusqu’alors, le monde n’avait été peuplé que de tyrans ? Pouvait-il croire qu’il existât quelque part un pays sans maître ?

— Pas de maître, affirma de nouveau le Kaw-djer.

Après un court silence, il demanda :

— Où es-tu né ?

— Je ne sais pas.

— Quel âge as-tu ?

— Bientôt onze ans, à ce qu’on dit.

— Tu n’en es pas plus sûr que ça ?

— Ma foi ! non.

— Et ton compagnon, qui reste là figé à cinq pas sans bouger d’une semelle, qui est-ce ?

— C’est Sand.

— C’est ton frère ?

— C’est tout comme… C’est mon ami.

— Vous avez peut-être été élevés ensemble ?

— Élevés ?… protesta Dick. Nous n’avons pas été élevés, monsieur !

Le cœur du Kaw-djer se serra. Que de tristesse dans ces quelques mots que prononçait cet enfant d’une voix batailleuse, comme un jeune coq dressé sur ses ergots ! Il existait donc des enfants que personne n’avait « élevés » !

— Où l’as-tu connu, alors ?

— À Frisco[1] sur le quai.

— Il y a longtemps ?

— Très, très longtemps… Nous étions encore petits, répondit Dick en cherchant à rassembler ses souvenirs. Il y a au moins… six mois !

— En effet, il y a très longtemps, approuva le Kaw-djer sans sourciller.

Il se retourna vers le compagnon silencieux du singulier petit bonhomme.

— Avance à l’ordre, toi, dit-il, et surtout ne m’appelle pas Excellence. Tu as donc ta langue dans ta poche ?

  1. San Francisco.