Page:Verne - Les Naufragés du Jonathan, Hetzel, 1909.djvu/97

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On approchait de la tente habitée par la famille Rhodes, on allait se séparer, que le Kaw-djer hésitait toujours. Mais il n’était pas homme à fuir les responsabilités. Au dernier moment, quelque douleur qu’il en dût éprouver, sa résolution fut prise. Il se tourna vers Hartlepool.

« Croyez-vous pouvoir compter sur la fidélité de l’équipage du Jonathan ? demanda-t-il.

— À l’exception de Kennedy et de Sirdey, le cuisinier, j’en réponds, dit Hartlepool.

— De combien d’hommes disposez-vous ?

— De quinze hommes, moi compris.

— Les quatorze autres vous obéiront ?

— Assurément.

— Et vous ?

— Moi ?…

— Y a-t-il quelqu’un ici dont vous soyez disposé à reconnaître l’autorité ?

— Mais… vous, monsieur… naturellement, répondit Hartlepool, comme si la chose était évidente.

— Pourquoi ?

— Dame ! monsieur… fit Hartlepool embarrassé. Enfin, il faut bien, ici comme ailleurs, que les gens aient un chef. Cela va de soi, que diable !

— Et pourquoi serais-je le chef ?

— Il n’y en a pas d’autre », dit Hartlepool, en ponctuant de ses bras ouverts son irréfutable argument.

La réponse était péremptoire, en effet. Il n’y avait rien à répliquer.

Après un nouvel instant de silence, le Kaw-djer prononça d’une voix ferme :

— À partir de ce soir, vous ferez garder le matériel débarqué du Jonathan. Vos hommes se relaieront deux par deux et ne laisseront approcher personne. Ils surveilleront l’alcool avec une attention particulière.

— Bien, monsieur, répondit simplement Hartlepool. Ce sera fait dans cinq minutes.

— Bonsoir », dit le Kaw-djer qui s’éloigna à grands pas, mécontent de lui-même et des autres.