Page:Verne - Mathias Sandorf, Hetzel, 1885, tome 3.djvu/88

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

82
mathias sandorf.

Vers trois heures seulement, Sarcany et Silas Toronthal entrèrent au Casino. Avant de paraître dans les salles de jeu, ils se promenèrent à travers le hall, où ils furent quelque peu l’objet de la curiosité publique. On les regardait, on les guettait, on se demandait s’ils entreraient encore en lutte avec ce hasard qui leur avait coûté si cher. Quelques professeurs auraient volontiers profité de l’occasion pour leur vendre d’infaillibles martingales, s’ils n’eussent été peu abordables en ce moment. Le banquier, l’air égaré, voyait à peine ce qui se passait autour de lui. Sarcany était plus froid, plus fermé que jamais. Tous deux se recueillaient au moment de tenter un dernier coup.

Parmi les personnes qui les observaient avec cette curiosité spéciale qu’on accorde à des patients ou à des condamnés, se trouvait un étranger qui semblait décidé à ne pas les quitter d’un instant.

C’était un jeune homme de vingt-deux à vingt-trois ans, physionomie fine, air futé, nez pointu, — un de ces nez qui regardent. Ses yeux, d’une vivacité singulière, s’abritaient derrière un lorgnon à simples verres de conserve. Comme s’il avait eu du vif argent dans les veines, il gardait ses mains dans les poches de son pardessus pour s’interdire de gesticuler, et tenait ses pieds rassemblés à la