Page:Verne - Robur le conquérant, Hetzel, 1904.djvu/127

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Il s’arrêta, cependant, et précisément au-dessus de la fameuse chute de Rjukanfos, en Norvège. Le Gousta, dont la cime domine cette admirable région du Telemark, fut comme une borne gigantesque qu’il ne devait pas dépasser dans l’ouest.

Aussi, à partir de ce point, l’Albatros revint-il franchement vers le sud, sans modérer sa vitesse.

Et, pendant ce vol invraisemblable, que faisait Frycollin ? Frycollin demeurait muet au fond de sa cabine, dormant du mieux qu’il pouvait, sauf aux heures des repas.

François Tapage lui tenait alors compagnie et se jouait volontiers de ses terreurs.

« Eh ! eh ! mon garçon, disait-il, tu ne cries donc plus !… Faut pas te gêner pourtant !… Tu en serais quitte pour deux heures de suspension !… Hein !… avec la vitesse que nous avons maintenant, quel excellent bain d’air pour les rhumatismes !

― Il me semble que tout se disloque ! répétait Frycollin.

― Peut-être bien, mon brave Fry ! Mais nous allons si rapidement que nous ne pourrions même plus tomber !… Voilà qui est rassurant !

― Vous croyez ?

― Foi de Gascon ! »

Pour dire le vrai, et sans rien exagérer comme François Tapage, il était certain que, grâce à cette rapidité, le travail des hélices suspensives était quelque peu amoindri. L’Albatros glissait sur la couche d’air à la manière d’une fusée à la Congrève.

« Et ça durera longtemps comme cela ? demandait Frycollin.

― Longtemps ?… Oh non ! répondait le maître-coq. Simplement toute la vie !

― Ah ! faisait le nègre en recommençant ses lamentations.

― Prends garde, Fry, prends garde ! s’écriait alors François Tapage, car, comme on dit dans mon pays, le maître pourrait bien t’envoyer à la balançoire ! »

Et Frycollin, en même temps que les morceaux qu’il mettait en double dans sa bouche, ravalait ses soupirs.