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LES QUATRE JOURS QUI SUIVENT

blait être éloigné encore du littoral américain ! Que de dangers, entre lui et la franche terre, à ne compter que ceux qui pouvaient venir d’un changement dans l’état de la mer et du ciel !

Jack, insouciant comme le sont les enfants de son âge, avait repris ses jeux habituels, courant sur le pont, s’amusant avec Dingo. Il trouvait, sans doute, que son ami Dick était moins à lui qu’autrefois, mais sa mère lui avait fait comprendre qu’il fallait laisser le jeune novice tout entier à ses occupations. Le petit Jack s’était rendu à ces raisons et ne dérangeait plus le « capitaine Sand ».

Ainsi se passaient les choses à bord. Les noirs faisaient intelligemment leur besogne et devenaient chaque jour plus pratiques du métier de marin. Tom fut naturellement le maître d’équipage, et c’était bien lui que ses compagnons eussent choisi pour cette fonction. Il commandait le quart, pendant que le novice se reposait, et il avait avec lui son fils Bat et Austin. Actéon et Hercule formaient l’autre quart sous la direction de Dick Sand. De cette façon, tandis que l’un gouvernait, les autres veillaient à l’avant.

Bien que ces parages fussent déserts et qu’un abordage ne fût vraiment pas à craindre, le novice exigeait une surveillance rigoureuse pendant la nuit. Il ne naviguait jamais sans avoir ses feux de position, — un feu vert à tribord, un feu rouge à bâbord, — et, en cela, il agissait sagement.

Toutefois, pendant ces nuits que Dick Sand passait tout entières à la barre, il sentait parfois un irrésistible accablement s’emparer de lui. Sa main gouvernait alors par pur instinct. C’était l’effet d’une fatigue dont il ne voulait pas tenir compte.

Or, il arriva ceci pendant la nuit du 13 au 14 février, c’est que Dick Sand, très fatigué, dut aller prendre quelques heures de repos, et fut remplacé à la barre par le vieux Tom.

Le ciel était couvert d’épais nuages, qui s’étaient abaissés avec le soir sous l’influence de l’air froid. Il faisait donc très sombre, et il eût été impossible de distinguer les hautes voiles, perdues dans les ténèbres. Hercule et Actéon étaient de quart sur le gaillard d’avant.

À l’arrière, le feu de l’habitacle ne laissait filtrer qu’une vague lueur, que reflétait doucement la garniture métallique de la roue du gouvernail. Les fanaux, projetant leurs feux latéralement, laissaient le pont du navire dans une obscurité profonde.

Vers trois heures du matin, une sorte de phénomène d’hypnotisme se produisit alors, dont le vieux Tom n’eut même pas conscience. Ses yeux, qui s’étaient trop longtemps fixés sur un point lumineux de l’habitacle, perdirent subitement