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QUELQUES NOTES DE DICK SAND

Elle partit ce jour-là par un temps couvert, et, après avoir quitté les rives de la Coanza, s’enfonça presque directement vers l’est.

Une cinquantaine de soldats marchaient en tête, une centaine sur chacun des deux flancs du convoi, le reste à l’arrière-garde. Il eût été difficile aux prisonniers de s’enfuir, même s’ils n’avaient pas été enchaînés. Femmes, enfants, hommes, allaient pêle-mêle, et les havildars pressaient leurs pas à coups de fouet. Il y avait de malheureuses mères qui, nourrissant un enfant, en portaient un second de la main qui leur restait libre. D’autres traînaient ces petits êtres sans vêtements, sans chaussures, sur les herbes acérées du sol.

Le chef de la caravane, ce farouche Ibn Hamis qui était intervenu dans la lutte entre Dick Sand et son havildar, surveillait tout ce troupeau, allant et venant de la tête à la queue de la longue colonne. Si ses agents et lui se préoccupaient peu des misères de leurs captifs, il leur fallait compter plus sérieusement, soit avec les soldats qui réclamaient quelque supplément de ration, soit avec les pagazis qui voulaient faire halte. De là des discussions, souvent même des échanges de brutalités. Les esclaves portaient encore la peine de l’irritation constante des havildars. On n’entendait que des menaces d’un côté, des cris de douleur de l’autre, et ceux qui marchaient aux derniers rangs foulaient un sol que les premiers avaient taché de leur sang.

Les compagnons de Dick Sand, toujours tenus avec soin en avant du convoi, ne pouvaient avoir aucune communication avec lui. Ils s’avançaient en file, le cou pris dans cette lourde fourche, qui ne leur permettait pas un seul mouvement de tête. Les fouets ne les épargnaient pas plus que leurs tristes compagnons d’infortune !

Bat, accouplé avec son père, marchait devant lui, s’ingéniant à ne donner aucune secousse à la fourche, choisissant les meilleurs endroits où mettre le pied, puisque le vieux Tom devait y passer après lui. De temps en temps, lorsque l’havildar était resté un peu en arrière, il faisait entendre quelques paroles d’encouragement dont quelques-unes arrivaient à Tom. Il essayait même de ralentir sa marche, s’il sentait que Tom se fatiguait. C’était un supplice pour ce bon fils de ne pouvoir retourner la tête vers son bon père qu’il chérissait. Tom avait sans doute la satisfaction de voir son fils, cependant il la payait bien cher. Que de fois de grosses larmes coulèrent de ses yeux, lorsque le fouet de l’havildar s’abattait sur Bat ! C’était un pire supplice que s’il fût tombé sur sa propre chair.

Austin et Actéon marchaient quelques pas en arrière, liés l’un à l’autre, et