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UN CAPITAINE DE QUINZE ANS

très abondante. Fin de la saison pluvieuse avec le mois d’avril, laquelle commence avec le mois de novembre. Plaines largement inondées encore. Vents d’est, qui suspendent la transpiration et rendent plus sensibles aux fièvres des marécages.

Aucune trace de Mrs Weldon, ni de monsieur Bénédict. Où les conduirait-on, si ce n’est à Kazonndé ? Ils ont dû suivre le chemin de la caravane et nous précéder. Je suis dévoré d’inquiétudes. Le petit Jack a dû être repris de la fièvre dans cette région insalubre. Mais vit-il encore ?…

Du 1er mai aumai. — Traversé pendant plusieurs étapes de longues plaines que l’évaporation n’a pu dessécher. De l’eau parfois jusqu’à la ceinture. Myriades de sangsues adhérant à la peau. Il faut marcher quand même. Sur quelques hauteurs qui émergent, des lotus, des papyrus. Au fond, sous les eaux, d’autres plantes, à grandes feuilles de chou, sur lesquelles le pied bute, ce qui occasionne des chutes nombreuses.

Dans ces eaux, quantités considérables de petits poissons de l’espèce des silures, que les indigènes retiennent par milliards dans des clayonnages, et qui sont vendus aux caravanes.

Impossible de trouver un lieu de campement pour la nuit. On ne voit pas de limite à la plaine inondée. Il faut marcher dans les ténèbres. Demain, bien des esclaves manqueront au convoi ! Que de misères ! Lorsque l’on tombe, pourquoi se relever ! Quelques instants de plus sous ces eaux, et tout serait fini ! Le bâton de l’havildar ne vous atteindrait pas dans l’ombre !

Oui ! mais Mrs Weldon et son fils ! Je n’ai pas le droit de les abandonner ! Je résisterai jusqu’au bout ! C’est mon devoir !

Cris épouvantables qui se font entendre dans la nuit !

Une vingtaine de soldats ont arraché quelques branches à des arbres résineux dont la ramure émergeait. Lueurs livides dans les ténèbres.

Voici la cause des cris que j’ai entendus ! Une attaque de crocodiles. Douze ou quinze de ces monstres se sont jetés dans l’ombre sur le flanc de la caravane. Des femmes, des enfants ont été saisis et entraînés par les crocodiles jusqu’à leurs « terrains de pâture ». C’est ainsi que Livingstone appelle ces trous profonds où cet amphibie va déposer sa proie, après l’avoir noyée, car il ne la mange que lorsqu’elle est arrivée à un certain degré de décomposition.

J’ai été rudement frotté par les écailles de l’un de ces crocodiles. Un esclave adulte a été saisi près de moi et arraché de la fourche qui le tenait par le cou. La fourche a été brisée. Quel cri de désespoir, quel hurlement de douleur ! Je l’entends encore !