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KAZONNDÉ

déjà emparé de quelques villages qui relevaient du gouvernement de Kazonndé, et il avait à sa dévotion un autre traitant, rival d’Alvez, ce Tipo-Tipo, noir Arabe de race pure, dont Cameron allait bientôt recevoir la visite à N’yangwé.

Voici d’ailleurs ce qu’était cet Alvez, le véritable souverain sous le règne du nègre abruti dont il avait développé et exploité les vices :

José-Antonio Alvez, déjà avancé en âge, n’était point, comme on pourrait le croire, un « msoungou », c’est-à-dire un homme de race blanche. Il n’avait de portugais que son nom, emprunté sans doute pour les besoins de son commerce. C’était un vrai nègre, bien connu dans ce monde des traitants, et qui s’appelait Kenndélé. Né, en effet, à Donndo, sur les bords de la Coanza, il avait commencé par être simple agent des courtiers d’esclaves, et devait finir en traitant de haute renommée, c’est-à-dire dans la peau d’un vieux coquin qui se disait le plus honnête homme du monde.

C’était cet Alvez que Cameron, vers la fin de 1874, devait rencontrer à Kilemmba, capitale de Kassonngo, chef de l’Ouroua, et qui allait le conduire avec sa caravane jusqu’à son établissement de Bihé, sur un parcours de sept cents milles.

Le convoi d’esclaves, en arrivant à Kazonndé, avait été conduit à la grande place.

On était au 26 }mai. Les calculs de Dick Sand se trouvaient donc justifiés. Le voyage avait duré trente-huit jours depuis le départ du campement établi sur les rives de la Coanza. Cinq semaines des plus épouvantables misères qu’il fût donné à des êtres humains de supporter !

Il était midi lorsque se fit l’entrée à Kazonndé. Les tambours battaient, les cornes de coudou éclataient au milieu des détonations des armes à feu. Les soldats de la caravane déchargeaient leurs fusils en l’air, et les serviteurs d’Antonio-José Alvez répondaient avec entrain. Tous ces bandits étaient heureux de se revoir, après une absence qui avait duré quatre mois. Ils allaient enfin se reposer et regagner le temps perdu dans la débauche et l’ivresse.

Les prisonniers, la plupart à bout de forces, formaient encore un total de deux cent cinquante têtes. Après avoir été poussés en avant comme un troupeau, ils allaient être enfermés dans les baracons, dont les fermiers d’Amérique n’eussent pas voulu pour étables. Là les attendaient douze ou quinze cents autres esclaves qui devaient être exposés le surlendemain au grand marché de Kazonndé. Ces baracons furent remplis avec les esclaves de la caravane. Les lourdes fourches leur avaient été enlevées, mais ils avaient dû garder leurs chaînes.